Synthèse
Les crises contemporaines nous imposent de repenser l’organisation de nos chaînes logistiques dans une perspective écologique. En Europe, et plus particulièrement en France, le transport de marchandises est dominé par la route. Il s’agit d’un secteur pivot, économiquement dynamique mais fortement concurrentiel, et dépendant des énergies fossiles. Compte tenu de son importance logistique et de son empreinte environnementale, les pouvoirs publics doivent accompagner la transition écologique du fret routier. Pour cela, on peut envisager différents types de mesures.
Les mesures visant à rationaliser la demande de transports doivent faire l’objet d’accords européens, ce qui n’est envisageable qu’à moyen terme. Les mesures de report modal sont limitées aux plans logistique et économique. Il faut donc se concentrer sur l’amélioration de l’efficacité énergétique du transport routier de marchandise (TRM). Sur ce point, la diminution de la consommation unitaire des moteurs diesels ne constitue pas une solution ambitieuse. La mutualisation des informations, permettant d’optimiser l’organisation de la chaîne de transports, n’est envisageable qu’à moyen-long terme. Le recours accru aux énergies alternatives nous paraît être la solution la plus innovante, en particulier sur le plan de la recherche fondamentale et de la création de valeur.
Les rejets de gaz à effet de serre (GES) des biocarburants de première génération sont moindres que ceux d’un diesel conventionnel. Mais ces agrocarburants ont d’importantes retombées environnementales, sans compter leur faible rendement énergétique. Nous ne recommandons donc pas d’en faire un usage massif. La recherche peut se poursuivre sur les biocarburants de deuxième génération, afin d’en réduire le coût et d’en améliorer les performances.
Les véhicules à moteur 100 % électrique tendent à se généraliser, malgré la controverse sur l’extraction des minéraux nécessaires à la fabrication des batteries. Toutefois, des incertitudes subsistent quant à la capacité de cette filière à relever les défis économiques (coûts des batteries et donc des véhicules), techniques (autonomie et temps de recharge) et énergétiques (consommation massive d’électricité). Pour ces raisons, et sauf avancées scientifiques majeures, le 100 % électrique reste inadapté au TRM.
A court terme (années 2020), le gaz naturel pour véhicule (GNV) est une alternative crédible. Si le méthane reste une énergie fossile, il peut aussi s’obtenir par valorisation des déchets (biométhane). Le bioGNV ainsi obtenu surpasse le gazole en terme de rejets de GES et de polluants, ainsi que de nuisances. Les pouvoirs publics ont d’ailleurs déjà commencé à encourager son utilisation, à travers des incitations fiscales et des subventions aux entreprises.
A moyen terme (horizon 2030), l’hydrogène peut s’imposer comme la nouvelle énergie propre. Son empreinte carbone est nulle à l’échappement, mais il faut prendre en compte la production d’électricité nécessaire au procédé d’électrolyse, ainsi que la fabrication des piles à combustible. L’innovation doit se poursuivre pour amoindrir les coûts de production de l’hydrogène, ainsi que les surcoûts des véhicules équipés de piles à combustible. A cette fin, les pouvoirs publics doivent directement soutenir les acteurs économiques qui investissent dans cette filière.
Les Conseils régionaux sont compétents en matière de développement économique, de transport, ainsi que d’énergie. Il appartient donc aux Conseils régionaux de mener une politique de transition du TRM vers le bioGNV puis l’hydrogène. C’est encore plus vrai en PACA, vu le poids de la logistique dans l’économie régionale. Une telle politique doit accompagner les start-ups innovantes de la région, ainsi que les prestataires logistiques. Les aides doivent développer la production de bioGNV et d’hydrogène, mais aussi la mise en place d’un réseau de distribution. Elles doivent couvrir une gamme de véhicules et d’entreprises la plus large possible. L’ambition régionale doit donc aller bien au-delà du Plan Climat de 2017, et du SRADDET de 2018.
Bien sûr, le recours aux énergies alternatives, quand bien même il représente un enjeu économique et environnemental majeur, ne peut suffire à lui seul. Une politique cohérente doit intégrer les enjeux liés à la logistique urbaine et à l’optimisation des trajets. Le report modal vers le fret ferroviaire et fluvial a aussi un rôle à jouer, de même que la promotion des circuits courts, et l’incorporation de biocarburants, à quantité raisonnable.
Rapport rédigé sous la direction de Sylvain Iordanoff par Lucas Nowicki avec la participation de Youness Oualla.
Sylvain Iordanoff a 62 ans, il est militant écologiste membre de EELV depuis 1998, élu Conseiller Départemental de Vaucluse avec Sylvie Fare en mars 2015. , participe à la fondation du Parti Vert Européen à Rome le 22 février 2004, Formation Maîtrise en Droit, DEA études européennes et internationales au CUREI (centre d’études européennes et internationales ) Université Pierre Mendes France Grenoble.
Lucas Nowicki à 26 ans, il est étudiant en Science Politique à l’université Pierre Mendes France de Grenoble il a effectué un stage au Conseil Départemental de Vaucluse sous la direction de Sylvain Iordanoff.
Youness Oualla a 29 ans, il est diplomé BTS en transport et prestations logistiques, membre EELV .
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Introduction
I) Une crise de la logistique
La crise pandémique mondiale du Coronavirus a mis à l’épreuve l’organisation des chaînes logistiques. Celles-ci reposent souvent sur une division internationale du travail, chaque firme organisant les étapes de son processus productif en fonction des avantages de chaque pays. La localisation des filiales et des sous-traitants qui composent la chaîne de production va ainsi dépendre des différentiels de coûts de main d’œuvre, de qualité des infrastructures, de fiscalité, de dotation en matières premières, etc. Un tel système, qui établit des rapports d’interdépendance entre pays, risquait nécessairement de se trouver perturbé par la pandémie. C’est a fortiori le cas étant donné la dépendance des firmes et pays occidentaux vis-à-vis de la Chine, épicentre de la pandémie. D’où l’appel désormais unanime à une relocalisation européenne, voire nationale, des activités industrielles stratégiques, pour davantage de souveraineté.
Toutefois, la crise a révélé des enjeux qui ne se limitent pas au commerce international. A l’échelle nationale, les mesures de sécurité sanitaire mises en œuvre dans les entreprises du transport et de la logistique ont logiquement allongées les délais de livraison et perturbées les chaînes d’approvisionnement. C’est en particulier le cas lorsque les marchandises doivent être transportées sur de longues distances avant l’arrivée sur le lieu de distribution. La demande de relocalisation industrielle s’accompagne donc d’un appel à raccourcir les circuits de production et de distribution. Cette volonté ne peut suffire, pour deux raisons. D’une part, l’auto-suffisance d’un pays comme la France est difficilement conciliable avec un certain standard de variété dans la consommation (c’est encore plus vrai à l’échelle d’une région). D’autre part, même raccourcis, les circuits de distribution resteront dépendants des carburants fossiles. Il est donc nécessaire, dans une perspective résolument écologique, de penser la « décarbonation » des chaînes logistiques, en particulier du fret routier.
C’est sur cette conversion du fret routier à des énergies peu (ou pas) polluantes que nous allons nous concentrer dans ce rapport.
II) Caractérisation du transport routier de marchandises (TRM)
A) Éléments de définition
Précisons tout d’abord le champ qui est celui du fret routier, et son rôle dans la chaîne logistique. Il s’agit d’une activité réglementée qui consiste à transporter un volume de marchandises par le réseau routier. Cette opération de transport peut être réalisée par poids-lourd ou par véhicule utilitaire léger (VUL). Le poids total autorisé en charge (PTAC) des VUL ne peut dépasser 3,5 tonnes. Celui des poids-lourds ne peut dépasser 44t.
L’opération peut être réalisée pour compte d’autrui ou en compte propre. Dans le cas d’une prestation de transport pour compte d’autrui, l’entreprise de transport (ou opérateur, ou transporteur) est sollicitée par une autre entreprise (l’expéditeur). Si l’opérateur sous-traite plus de 15 % de son volume d’affaires, il devient commissionnaire de transport. Dans le cas d’une prestation en compte propre, l’entreprise prend directement en charge l’opération au sein de ses services, ce qui constitue un moyen d’évitement des réglementations nationales et européennes. La valeur ajoutée du transport, intégrée à la comptabilité de l’expéditeur, est alors invisible de la branche « transport » du Produit Intérieur Brut (PIB). Des données telles que le tonnage, la distance parcourue et les effectifs restent toutefois observables par les statistiques nationales.
B) Le TRM en France
En 2018, d’après le Commissariat général au développement durable (CGDD), 356 milliards de tonnes par kilomètres ont été transportées, tous modes de transport terrestre confondus. Pour le seul fret routier, le volume de marchandises transportées par kilomètre a augmenté de 2,2 % par rapport à 2017. « Depuis 2013, le transport terrestre (hors oléoducs) progresse de 1,6 % en moyenne annuelle, avec une hausse de 1,9 % pour le transport routier, une quasi-stabilité du transport ferroviaire sur 5 ans (- 0,1 %) et une baisse de 3,3 % du transport fluvial ». Sur la période, les quantités de marchandises traitées dans les ports français augmentent de 1,3 % en moyenne annuelle. Parmi les différents modes de transports, le secteur routier connaît donc un rythme de croissance (en volume) supérieur aux secteurs ferroviaire, fluvial et maritime. Si bien qu’en 2018, le fret routier représente 317,3 milliards de tonnes-kilomètres transportées, soit environ 89 % du total terrestre. Le transport intérieur de fret est donc dominé par la route. Cette domination n’a fait que s’accentuer depuis 20 ans : depuis 2000, la part modale terrestre du routier a augmenté d’un peu moins de 10 points, tandis que le ferroviaire a perdu 8 points, et que le fluvial a stagné à 2 % du transport terrestre.
En 2018, au sein du transport intérieur de marchandises, 53,1 % des volumes sont transportés par des poids lourds sous pavillon français, c’est-à-dire immatriculés en France. Le transport en VUL français ne représente que 7,7 % des volumes. Les poids lourds immatriculés à l’étranger représentent 39,2 % de l’activité nationale, mais ce total inclut le cabotage (4,3 % de l’activité nationale). Le transport en compte propre représente 20 % (40 milliards de tonnes-km) du fret intérieur sous pavillon français. Les opérations pour compte d’autrui en représentent donc 80 %. Notons que la part du transport en compte propre a sensiblement progressé depuis 2013 (+4,5 points en 5 ans), tandis que la part du transport pour compte d’autrui a décliné depuis 2007, malgré un net rebond en 2017-18.
Ceci nous incite à mettre en évidence deux caractéristiques tendancielles du fret routier. Premièrement, le corrélation logique entre l’activité pour compte d’autrui et la conjoncture économique : l’activité des prestataires de transport est fragile lorsque la croissance économique est faible, et inversement. En période de récession, on peut en effet supposer que les entreprises tendent à réduire leur demande de prestation de transport, voire à internaliser ces prestations si c’est possible. Ceci explique la deuxième tendance : celle de la légère hausse de la part du transport en compte propre observée. Celle-ci peut alors s’expliquer par la très faible croissance économique française sur la période 2008-2016, mais peut-être aussi par une appréhension des entreprises face à l’incertitude économique. De telles anticipations réduisent d’autant plus l’activité des prestataires de transport.
C) Le TRM en Europe et la concurrence internationale
La progression du transport routier de marchandises est logiquement plus importante encore à l’échelle européenne. En 2017 (données les plus récentes du CGDD), l’activité est en augmentation de 4,7 % par rapport à 2016. Cette croissance est principalement portée par l’activité internationale des pavillons d’Europe de l’Est (+9,5%). Associé à la hausse du cabotage en Europe (+17,4%) et plus particulièrement en Europe de l’Ouest (plus des deux tiers du cabotage sont effectués en France et en Allemagne), une troisième caractéristique du fret routier apparaît logiquement : l’inévitable distorsion du marché des prestations de transport en faveur des pavillons de l’Est (surtout sur longue distance), dont les salaires sont moindres.
Sur le plan de l’emploi, en 2018 en France, on compte 407 000 salariés dans le transport de marchandises (hors ferroviaire et aérien). Ceci représente une croissance de 4 % par rapport à 2017, et de 2,3 % sur la période 2013-18, alors même que sur cette période, l’emploi du transport de voyageurs n’a progressé que de 0,1 %. Le fret est donc un pilier de l’emploi salarié de la branche « transports ». C’est en particulier le cas du fret routier (services de déménagement compris), dont l’emploi a progressé de 2,4 % en 5 ans, pour se porter à 394 800 salariés en 2018. Cette année, la masse salariale du transport de marchandises (hors ferroviaire) a crû de 5,9 %. De plus, la part des effectifs rémunérés au SMIC a diminué depuis 2015. Le salaire moyen par tête dans le transport de marchandises a ainsi augmenté de 1,6 % en 2018, se portant à 2330€.
La situation de l’emploi et des salaires du fret routier semble donc favorable en France. Toutefois, les données de Pôle Emploi sur l’offre et la demande d’emplois dans le transport et la logistique, témoignent d’une tension croissante sur le marché du travail, en particulier pour les conducteurs de poids lourds sur longue distance. Une étude du Comité National Routier (CNR) indique que « l’absence de convention collective est la norme » dans la plupart des pays ayant intégré l’UE en 2005. Le clivage Est-Ouest est total sur le plan des cotisations versées : « les cotisations employeurs coûtent 673 €/an à un transporteur bulgare et 16 221 €/an à un transporteur belge ». Ces fortes disparités salariales pénalisent nécessairement les transporteurs français, puisque le système des travailleurs détachés donne la possibilité aux expéditeurs (et commissionnaires) français de recourir aux transporteurs de l’Est.
Cette distorsion de concurrence est aggravée par l’existence de réglementations supplémentaires en France, qui grèvent la compétitivité des transporteurs locaux. De plus, les pavillons des pays de l’Est assurent plus de la moitié du transport européen de marchandises sur des distances supérieures à 500 kilomètres. Les pavillons polonais couvrent 17,2 % du kilométrage total européen, ce qui les place au premier rang sur le plan de l’activité en volume.
Cette importance des distances parcourues est un autre facteur des disparités économiques évoquées précédemment. La faiblesse des coûts salariaux à l’Est, combinée à la longueur des trajets effectués par les conducteurs de ces pays, induit un écart de 1 à 4 au niveau du coût kilométrique observé en Europe. Ainsi, un conducteur bulgare coûte en moyenne 0,11€ par kilomètres parcourus, contre 0,43€/km pour un français.
Ajoutons enfin que tous pavillons confondus en Europe, 20 % des kilomètres sont parcourus à vide (18% dans le cas des véhicules français), ce qui soulève d’importantes questions d’optimisation que nous traiterons plus loin.
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Cette caractérisation nous a permis de dégager quelques éléments qui justifient une action politique ciblée de « décarbonation » du TRM. La part modale prépondérante et croissante du fret routier, couplée à un rythme élevé de croissance des emplois et des salaires, en fait un secteur pivot. Il est alors impensable de penser la transition écologique au sens large, sans penser la transition énergétique du TRM. Cela dit, le secteur reste marqué par une importante sensibilité à la conjoncture, une forte pression concurrentielle européenne, et des réglementations qui ne sont que partiellement respectées. Dans ces conditions, le décideur public doit accompagner les entreprises (ce qui n’exclut pas d’inciter et de réglementer) dans leur conversion aux énergies propres. Ce point sera approfondi plus loin.
Notre caractérisation du fret routier doit à présent être complétée de quelques notions de gestion logistique. Cela nous permettra de dresser un état des lieux régional des flux de transports et de logistique.
III) Caractérisation du secteur logistique
A) Définition et typologie
La définition gouvernementale de la logistique distingue trois types d’approches .
Premièrement, la logistique peut désigner « une série d’opérations physiques portant sur des produits agricoles ou industriels et complétant leur fabrication : transport, entreposage, manutention, emballage », etc. C’est en quelque sorte une approche par les métiers, que la nomenclature française semble reprendre dans sa définition : « planification, exécution et maîtrise des mouvements et des mises en place des personnes ou des biens et des activités de soutien ». Les « mouvements » évoqués appellent alors à un élargissement de la définition de la logistique comme une série de métiers intégrés au processus productif.
Deuxièmement, la logistique peut ainsi s’appréhender comme « une branche des sciences de gestion, considérant l’entreprise et les relations entre entreprises comme un système de flux (flux de produits et flux d’informations) qu’il faut gérer comme tel ». C’est une approche par les flux et par l’organisation de la chaîne d’approvisionnement, on parle aussi de supply chain management. C’est l’approche qui est principalement retenue par le Forum international des transports et la Commission économique pour l’Europe des Nations unies.
Troisièmement, la logistique peut être envisagée comme « une branche économique composée d’entreprises prestataires réunissant des activités jusqu’alors disjointes pour en offrir le service à leurs clients ». Selon la nomenclature française, cette prestation de services logistiques a pour finalité « la satisfaction des besoins exprimés ou latents, aux meilleures conditions économiques pour l’entreprise ». Cette approche par les besoins est donc nécessairement plus englobante que les précédentes, puisque les services produits par le prestataire logistique intègre les activités de fabrication du produit comme de gestion des flux. Les besoins à satisfaire sont internes à l’entreprise (approvisionnement) comme externes (satisfaction des clients).
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Ces éléments de définition permettent de compléter notre caractérisation du TRM. Au-delà de la simple opération de transport d’une marchandise d’un point A vers un point B, le fret est une composante essentielle de la gestion logistique. En cela, il contribue à la satisfaction des besoins internes et externes que nous venons d’évoquer. Cette perspective le rend d‘autant plus essentiel au fonctionnement de l’économie. Le TRM est un secteur pivot, et en cela, sa conversion écologique est un enjeu majeur.
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Toujours selon la documentation gouvernementale, et sur la base du rapport de Michel Savy en amont de la Conférence nationale sur la logistique, on distingue en tout cas quatre types de logistique :
- la logistique amont ou d’approvisionnement, « qui vise à assurer la circulation des produits entrants et sortants des sites de production »,
- la logistique interne, « qui correspond aux flux de fabrication à l’intérieur du lieu de production ou d’assemblage »,
- la logistique aval, « qui répond à l’approvisionnement des réseaux de distribution »,
- la logistique inverse ou retour, « qui correspond aux flux de produits ou d’éléments non utilisables tels quels vers des sites de stockage, de retraitement ou de recyclage ».
B) La logistique dans l’économie française
L’activité logistique est principalement composée des opérations de fret d’une part, et des activités d’entreposage d’autre part. Par conséquent, les données économiques relatives à la logistique avoisinent celles que nous avons présentées pour le fret. Toujours sur la base du rapport annuel du CGDD, précisons seulement que les effectifs du secteur « Transports et entreposage » (hors intérim et activités de postes et courrier), sont de 1 173 000 salariés en 2018. Toutefois, pour se faire une idée de l’emploi logistique, il est nécessaire de diminuer cet effectif des salariés des transports de voyageurs. L’effectif ainsi obtenu est de 695 000 salariés. Ceci représente environ 3,7% de l’emploi privé total hors intérim.
La part de l’emploi logistique est bien plus importante si on prend en compte les intérimaires, indépendants et artisans, ainsi que les salariés des services de poste et de courrier. A fortiori si l’on rapporte cette part au seul secteur privé hors agriculture. La documentation gouvernementale dénombre ainsi 1,8 millions d’employés dans le fret et la logistique, compte propre et compte d’autrui confondus, y compris les emplois supports. Un tel chiffre représenterait environ 10 % de l’emploi privé hors agriculture.
Les méthodes de calcul et d’estimation de l’emploi logistique sont donc très variables. En dehors du fret que nous avons déjà évoqué, notons encore que le secteur de l’entreposage et manutention est particulièrement dynamisme au niveau de l’emploi : les effectifs y ont augmenté de 3,4 % sur la période 2013-18 (5,2 % pour la seule année 2018).
Ensuite, le secteur des « transports et entreposage » comptait 145 100 entreprises fin 2017, ce qui représente une hausse de 13,1% par rapport à fin 2016. 12 280 de ces entreprises relèvent des « autres services de transport », c’est-à-dire principalement de l’entreposage et de la manutention. C’est peu, en comparaison des 45 638 entreprises de TRM.
En 2017, le chiffre d’affaire des entreprises de fret s’élève à près de 70 milliards d’euros, dont un peu moins de 50 milliards pour le seul fret routier. La valeur ajoutée brute du transport routier de marchandises (TRM) est d’un peu moins de 17 milliards, celle des autres services logistiques est d’environ 32 milliards. Malgré les incertitudes quant aux effectifs employés par la logistique, un constat demeure donc : il s’agit d’un secteur à haute valeur ajoutée. En 2008, une étude munichoise estimait ainsi que la part de la valeur ajoutée logistique dans la richesse nationale pouvait atteindre 12,8 % du PIB français.
C) La logistique dans l’économie de la région Sud-PACA
Il faut à présent resserrer la focale pour examiner les enjeux de la logistique en région Sud-PACA.
Selon l’association AFILOG , en 2012, la logistique y représente 13 % de l’emploi salarié privé, soit environ 130 000 salariés (hors intérim). Le compte propre représente 42 % des emplois, ce qui signifie que les prestataires logistiques (compte d’autrui) sont comparativement un peu plus présents en région Sud-PACA.
Les emplois ainsi que les entrepôts de plus de 5000m² sont concentrés sur le littoral, en lien notamment avec l’activité du Grand Port Maritime de Marseille-Fos (GPMM). En 2018, le GPMM a connu un trafic de 81 millions de tonnes de marchandises, pour 1,4 millions de conteneurs. En plus du cluster industrialo-portuaire de Marseille-Fos (41 500 salariés), il faut évoquer la zone de Toulon (environ 2000 employés) et celle du Naval Group dans le Var (3300 employés).
La région Sud-PACA présente ainsi plusieurs particularités. D’abord, elle se trouve à une extrémité de la dorsale de flux Nord-Sud qui traverse le pays, du Pas-de-Calais au littoral marseillais, en passant par les régions parisiennes et lyonnaises. Ensuite, elle polarise des activités portuaires, mais plus généralement des activités économiques, qui ne sont pas sans lien avec son positionnement frontalier. Enfin, la DREAL met en avant l’importance des services dans l’économie régionale : 53,9 % de l’emploi en 2009. Or, les activités culturelles et touristiques qui caractérisent les métropoles d’Aix-en-Provence, d’Avignon, de Marseille ou de Nice créent un effet d’appel vers les activités logistiques.
Des données un peu plus anciennes (2004), toujours citées par la DREAL, font état de « plus d’1 million de m² de surfaces logistiques dédiées à la grande distribution », et 1,5 million de camions/an pour la seule grande distribution. En 2010, le transport et la logistique représentent une valeur ajoutée brute de 7 milliards d’euros, soit 6,5 % du PIB brut régional. Il est frappant de constater que cette part a presque doublé en quelques années, se portant à 12 % du PIB brut de la région en 2012. L’emploi logistique semble avoir suivi une trajectoire semblable. Un constat s’impose donc : la logistique est un secteur d’activité particulièrement porteur, dynamique et stratégique en région Sud-PACA.
Le rapport annuel du l’Observatoire Régional des Transports (ORT) permet de se rendre compte, au sein de ce secteur, du poids du fret routier. En 2015, les flux régionaux de marchandises par la route représentent plus de 14 milliards de tonnes-kilomètres, soit 93 % du volume de fret transportés dans la région, tous modes confondus. Le poids du TRM est donc tout aussi prépondérant en région Sud-PACA qu’à l’échelle nationale. Parmi ces 14 milliards de tonnes-km transportées par la route, seulement un peu plus de 2 milliards de tonnes-km l’ont été pour compte propre, mais cette part du compte propre est en forte hausse sur un an : +21 %, là où le TRM pour compte d’autrui a diminué de 2,4 %.
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En définitive, les caractéristiques du TRM observées à l’échelle nationale se retrouvent au plan régional :
- la place essentielle de la logistique dans l’activité des entreprises implique une forte demande de transports,
- cette demande tend à s’internaliser, c’est-à-dire que les entreprises ont tendance à s’adresser à elles-mêmes pour transporter leurs marchandises,
- l’activité des transporteurs pour compte d’autrui reste non-négligeable, eut égard aux avantages comparatifs salariaux des pavillons de l’Est, et aux réglementations européennes,
- le coût de la main d’œuvre est la composante essentielle du prix de l’opération de transport, ce qui tend à défavoriser les opérateurs français, dont les conditions d’emploi semblent favorables,
- la demande de transports n’est pas seulement indexée sur l’activité industrielle, mais aussi sur les services. En cela, le fret routier va certainement continuer à occuper un rôle majeur, compte-tenu de sa souplesse et de la tertiarisation continue de l’économie, en particulier dans les pôles urbains. Il s’agit également d’un puissant vecteur de connexion et de dynamisme des territoires ruraux et péri-urbains.
Pour toutes ces raisons, la transition écologique du TRM doit être résolument incitée par les pouvoirs publics locaux, en concertation avec les opérateurs privés. Dans cette perspective, nous allons tout d’abord dresser un constat de l’empreinte énergétique du fret routier (Partie I). Par la suite, nous ferons un panorama des solutions qui permettraient de réduire cette empreinte (Partie II).
Ceci nous amènera à dresser un comparatif des différentes énergies envisageables pour décarboner le TRM (Partie III). Puis nous évoquerons les éléments juridiques qui justifient cette décarbonation (Partie IV). Il nous faudra également dessiner les contours d’une politique écologique plus englobante en matière de logistique (Partie V). La dernière partie de ce rapport évoquera quelques éléments d’actualité sur ce sujet (Partie VI).
Partie I : Le TRM, quelle empreinte énergétique ?
I) Éléments d’introduction sur les gaz à effet de serre et les polluants atmosphériques
En climatologie, l’effet de serre désigne le processus par lequel l’atmosphère isole la Terre du vide spatial. De la même manière qu’une serre maintient un volume de plantations à une température élevée par isolation vis-à-vis de l’air extérieur, les gaz à effet de serre (GES) bloquent et réfléchissent une partie des flux de chaleur. L’émission de GES est donc est un facteur essentiel du réchauffement climatique. Les principaux GES anthropiques sont le dioxyde de carbone, le méthane, l’oxyde nitreux et l’ozone. Selon le troisième rapport d’évaluation du GIEC, leur contribution à l’effet de serre est de 40 % (dont 26 % pour le CO2), les 60 % restant étant dus à la vapeur d’eau.
Il faut toutefois préciser une différence majeure entre l’effet de serre naturel (vapeur d’eau) et les GES : tandis que les particules de vapeur d’eau ne mettent que quelques jours à s’évacuer, la « durée de séjour » d’un GES peut s’étaler sur plusieurs dizaines d’années, voire plusieurs siècles. C’est pourquoi le GIEC évalue le potentiel de réchauffement global (PRG) à 100 ans de chaque GES, en équivalent carbone.
Dans ce qui va suivre, nous nous concentrons sur les GES dont les émissions relèvent principalement du trafic de poids lourds, délaissant volontairement le monoxyde de carbone (véhicules légers principalement) ou les hydrochlorofluorocarbures (appareils de climatisation).
Le dioxyde de carbone, aussi appelé gaz carbonique ou CO2 (selon sa formule chimique), est l’un des principaux GES. Dans un article rédigé sur la base du quatrième rapport d’évaluation du GIEC, Jean-Marc Jancovici affirme que les activités humaines ne représentent que 3 % des émissions de CO2 (la très grande majorité de ces émissions est naturelle). Toutefois, ces 3 % représentent les deux tiers de l’effet de serre d’origine humaine. La durée moyenne de séjour dans l’atmosphère du CO2 est de 100 ans.
Le méthane (CH4) est responsable de 17 % du réchauffement climatique (selon une étude de la Commission européenne). Pour les trois quarts, il est rejeté par les humains. Son PRG à 100 ans est 25 fois supérieur à celui du CO2.
Ajoutons enfin les polluants atmosphériques, qui peuvent être d’origine primaires (ils sont émis tels quels) ou secondaires (ils se forment dans l’air par réactions physico-chimiques à partir d’autres polluants). On y retrouve les particules fines (suie, plomb, cuivre, souffre…) ainsi que les oxydes d’azote (NOx). Parmi les oxydes d’azote, on peut évoquer :
- Le protoxyde d’azote (oxyde nitreux, N2O) met 114 ans à s’évacuer, et son PRG est de 298 équivalents-carbone.
- Le dioxyde d’azote (NO2) est « responsable d’au moins 6000 cas de morts prématurées par an » selon une étude du Bureau allemand de l’environnement, citée dans un reportage Arte.
Selon le même reportage, les particules fines tuent 48 000 personnes par an en France. Malgré l’existence de filtres à particules sur les véhicules, l’une des principales sources de particules fines demeure les moteurs diesel.
II) L’empreinte environnementale des transports
A) Transports routiers
Selon le CGDD, « les transports en France sont responsables de 31 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et 40 % des émissions de CO2 ». Les données du CGDD ne permettent pas de comparer les niveaux d’émissions de GES selon le type de transport (personnes, marchandises) mais selon le type de véhicule.
Ainsi, le transport routier est émetteur de 128,9 millions de tonnes-équivalent CO2 de GES en 2018, ce qui représente la quasi-totalité des émissions de GES du secteur des transports, et une hausse de 10,8 % depuis 1990. Notons que sur cette période, le secteur résidentiel-tertiaire (habitat et services) a réduit ses émissions de GES de 9,8 %, et l’industrie manufacturière de 45,5 %. Les efforts engagés depuis 1990 dans la plupart des secteurs d’activité économique restent donc à engager dans les transports.
En 2017, le volume d’émissions de GES imputables aux poids-lourds (bus et cars compris) est de 28,7 mt.éq-CO2, le diesel étant de très loin le type de motorisation le plus polluant. Sur la période 1990-2017, les émissions de GES des poids-lourds diesel ont augmentées (+5,2%), tandis que celles des poids-lourds essence ont significativement diminuées (-98,3%).
En ce qui concerne l’émission de polluants atmosphériques, les véhicules diesel sont responsables de plus de 80 % des émissions du transport routier. C’est particulièrement le cas pour les émissions de dioxyde d’azote (NO2), dont les particules sont classées cancérigènes.
B) Transport de marchandises
En 2017, d’après le rapport pré-cité, la consommation d’énergie de traction du transport de marchandises est de 17,2 millions de tonnes-équivalent pétrole, dont 15,4 mtep pour le seul fret routier. Cette consommation énergétique du fret routier est en hausse de 0,6 % sur 5 ans, tandis que celle du transport de marchandises tous modes confondus est en légère baisse (-0,4%). Toutefois, ces données sur la quantité d’énergie employée par le fret ne nous disent rien sur son empreinte carbone.
Sur ce point, l’INSEE estime que « parmi les consommations énergétiques du transport routier, 63 % sont destinées au transport de voyageurs et 37 % au transport de marchandises. » Plus précisément, un calcul de la Direction générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer (DGITM) évalue les émissions de GES du TRM à environ 35 mt.éq-CO2 en 2014, dont 27,1 mt.éq-CO2 pour les poids lourds. Ceci représenterait un peu moins de 30 % des émissions de gaz à effet de serre du transport routier total.
Ces émissions ne sont pas seulement causées par la combustion de carburants fossiles, mais aussi par la consommation énergétique des camions frigorifiques, par exemple. De tels systèmes de réfrigération sont une source de perte dans l’atmosphère d’hexaflorocarbones, un GES dont le PRG est de 140 à 3000 fois plus élevé que celui du CO2.
Ajoutons encore que selon l’institut technologique FCBA, « le transport routier de marchandise est responsable de 22% des émissions du transport routier en Europe » en 2019. A l’échelle globale, selon le professeur de logistique Alan McKinnon, la logistique représente environ 10 % des émissions totales de CO2 provenant de la consommation d’énergie. Et « environ 90 % de ces émissions proviennent du transport de marchandises ». En d’autres termes, « décarboner » le fret revient quasiment à décarboner la logistique.
Il faut toutefois préciser que les émissions de particules polluantes par véhicule (ou par tonne de marchandises transportées) ont diminué depuis 1990, grâce aux progrès techniques (pots catalytiques, amélioration de la performance des moteurs diesel…). La hausse du volume d’émissions constatée sur la période est donc davantage imputable à l’augmentation du trafic global.
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Ces données sur les émissions de GES par le TRM doivent s’apprécier au regard des objectifs de politique publique, qu’ils soient régionaux, nationaux ou européens. Ceux-ci seront détaillés plus tard, mais notons d’ores et déjà que la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), prévoit que le secteur des transports n’émette plus aucun GES (hors aérien) en 2050. De plus, pour être compatible avec l’accord de Paris, le rythme moyen annuel de la réduction des émissions de GES des transports devrait être deux fois plus important que celui constaté entre 2017 et 2018.
III) Les transports : quel mix énergétique ?
En 2017, d’après les données du CGDD, 44 mtep de carburants pétroliers ont été consommés par les transports (voyageurs compris). Pour l’écrasante majorité, il s’agit de carburant routier (41 mtep), c’est-à-dire le plus souvent, de gazole (32,8 mtep). La consommation de produits non-pétroliers ne représente qu’un million de tonnes équivalent-pétrole, en grande majorité de l’électricité (0,9 mtep), puis du Gaz naturel véhicule (GNV).
Il faut toutefois remarquer que cette consommation de produits non-pétroliers est en hausse de 1,7 % par rapport à 2016. Hors, cette évolution était négative sur l’année précédente (-1,5 % entre 2015 et 2016), et moindre sur 5 ans (+0,3 % entre 2012 et 2017). Ce léger rebond de la consommation de produits non-pétroliers est largement porté par le GNV, dont la consommation a augmenté de presque 30 % en 2017 (+3,6 % en 2016). Si l’électricité occupe une place importante dans la consommation d’énergie non-fossile des transports (urbains en particulier), la tendance est donc plutôt à l’accroissement du parc roulant au GNV.
La part des biocarburants (que nous traiterons plus loin) est tellement marginale qu’elle ne figure pas dans les données nationales des transports en 2017.
Concernant le transport routier de marchandises (TRM), les statistiques nationales françaises ne nous fournissent pas de données attestant la forte « diésélisation » du parc. Notons seulement que selon le reportage Arte pré-cité, sur trois millions de poids-lourds immatriculés en Allemagne, 2,8 millions roulent au diesel.
IV) Les coûts privés en carburants des entreprises de TRM
En 2017, les achats de carburants par les entreprises de fret et de logistique s’élèvent à 5,734 milliards d’euros. Les estimations officielles (Service de la donnée et des études statistiques, SDES) laissaient entrevoir une hausse de ces coûts pour 2018, se portant à 6,387 milliards d’euros. Ceci représenterait une hausse de 11,4 % par rapport à 2017, alors que le montant de ces achats de carburants en 2017 était déjà en hausse de 3,8 % par rapport à 2016.
D’après le CGDD, « Cette hausse est la conséquence de l’augmentation du coût du gazole professionnel (+ 11,9 %) ». Ceci n’empêche pas les entreprises du secteur d’être en bonne santé économique : leur chiffre d’affaire ainsi que leur taux de marge n’ont fait que progresser dans les année récentes. Toutefois, ce bon niveau de profitabilité ne doit pas masquer une hausse des coûts du TRM supérieure à celle des prix des prestations. Ce différentiel est constaté sur longue distance comme sur courte distance, sur du transport national comme international.
La situation observée des entreprises de TRM entre 2017 et 2018 est donc paradoxale. La conjoncture économique favorable leur a permis de maintenir un volume d’activité élevé et même d’augmenter leurs marges. Toutefois, la hausse des taxes sur les carburants décidée par le gouvernement dans une démarche de transition écologique a exercé une pression sur leurs coûts. Ainsi, après une diminution en 2016, le coût du gazole professionnel (pour les transports de fret sur longue distance) a augmenté de 8,4 % en 2017 et 11,9 % en 2018. De plus, la loi de finances pour 2020 réduit le remboursement de TICPE accordé aux transporteurs routiers.
Bien que la « taxe carbone » soit gelée depuis les mouvements sociaux de l’automne 2018, et que le prix international du pétrole soit à un niveau tendanciellement bas, la question se pose de la soutenabilité des comptes des entreprises de TRM dans la période qui s’ouvre. La crise pandémique a logiquement fait chuter l’activité des prestataires de transport, tandis que la fiscalité carbone devrait vraisemblablement se maintenir à son niveau de 2019, voire reprendre son augmentation dans les années à venir. Face à cet « effet ciseau », les pouvoirs publics devront accompagner économiquement les entreprises de fret routier qui feront leur transition énergétique.
Nous verrons plus loin quels dispositifs peuvent être mis en œuvre pour compenser les surcoûts liés à la transition énergétique.
Partie II : vers un fret plus écologique : quel levier d’action privilégier ?
Le professeur de logistique Alan McKinnon distingue cinq catégories d’approches visant à décarboner le transport de marchandises. Ces cinq catégories peuvent toutefois être synthétisées en trois types de mesures : les mesures portant sur la demande de transport, les mesures de report modal, et enfin les mesures d’efficacité énergétique. C’est la typologie utilisée dans un rapport pour le Premier ministre de 2008, présidé par l’ingénieur et professeur émérite Michel Savy, que nous serons amenés à citer régulièrement.
I) La gestion de la demande en transports de marchandises
Selon une étude de l’OCDE, la demande en matière de fret devrait tripler d’ici 2050. Pour stabiliser voire réduire cette demande, les leviers sont multiples. On peut établir une sous-distinction entre les leviers jouant sur les quantités et ceux jouant sur les prix.
A) Les mécanismes portant sur les quantités
Le passage à une économie plus circulaire créerait des chaînes logistiques en boucle fermée. L’accroissement de l’efficacité des chaînes de production permettrait de relocaliser l’activité de certains sites industriels. La numérisation de certains biens médiatiques et culturels a déjà réduit le volume de matériaux à déplacer. Ces tendances sont toutefois fortement dépendantes du progrès technologique, lui-même hautement demandeur d’activités logistiques et consommateur d’énergie.
B) Les mécanismes portant sur les prix
Dans la mesure où l’accroissement des échanges mondiaux de marchandises a notamment été permis par une baisse du coût du transport (via l’amélioration des performances des véhicules pour ce qui concerne le TRM, ou la conteneurisation dans le cas du maritime), il paraît souhaitable de prendre des mesures pour augmenter ce coût. L’idée est d’envoyer un signal-prix permettant d’orienter efficacement les décisions de l’ensemble des acteurs de la chaîne de transports.
On distingue les mesures de taxation et celles de tarification. Et c’est là que le bât blesse : les premières (taxe carbone) ont un effet anti-redistributif sur le pouvoir d’achat des ménages, en particulier si elles sont appliquées uniformément sur tout le territoire français, sans prendre en compte son hétérogénéité. Les secondes (péage routier) prennent davantage en compte cette hétérogénéité, mais pénalisent les prestataires de transport locaux de courte et moyenne distance, vis-à-vis des grandes firmes européennes opérant sur longue distance. Dans le cas des mesures de taxation comme de tarification, il est préférable d’avancer à l’échelle européenne, pour éviter toute distorsion de concurrence supplémentaire.
II) La priorisation de modes de transports moins polluants
On a vu en Introduction que les modes ferroviaire et fluvial ne représentent qu’une part marginale (et en déclin) du transport intérieur terrestre de marchandises. Pourtant, le report modal est très souvent évoqué comme la solution permettant de réduire l’empreinte carbone des transports, en particulier suite au Grenelle de l’Environnement de 2007 et aux Accords de Paris sur le Climat en 2015.
Et pour cause, une comparaison de l’efficacité environnementale des différents modes de transports plaide largement en faveur du ferroviaire. Selon une étude de 2002 citée dans le rapport Savy de 2008, pour une tonne-km de marchandises transportées, les poids lourds rejettent en moyenne 125g de CO2, contre 5g pour les trains et 37g sur voie d’eau. Ainsi, le report d’une tonne-kilomètre du mode routier au mode ferroviaire permet une réduction de 95 % de son empreinte carbone. Et « un report modal de 10 % du mode routier au mode ferroviaire sur l’ensemble du territoire national, qui représenterait un quasi-doublement du trafic ferroviaire de marchandises, permettrait d’économiser environ 3 millions de tonnes de CO2 ».
Si le fret ferroviaire (et dans une moindre mesure, le fluvial) est très efficace au plan environnemental, on ne peut pas en dire autant au plan logistique. Plusieurs problèmes empêchent un report modal de grande ampleur, et expliquent pourquoi le fret ferroviaire est en déclin depuis les années 1980.
A) Les faiblesses structurelles et nationales du fret ferroviaire
1) Ancienneté, surcoûts et fiabilité
Tout d’abord, l’ancienneté du réseau ferré, dont toutes les lignes ne sont pas électrifiées, occasionnant des changements de locomotive en cours de trajet, et donc une importante perte de temps. Ici, le sous-investissement massif des pouvoirs publics est à mettre en cause. Pour pallier à ce sous-investissement, les Réseaux Ferrés de France (RFF) ont mis en place des péages ferroviaires à la fin des années 1990, ce qui crée un surcoût pour les transporteurs ferroviaires de marchandises, en particulier sur courte et moyenne distance.
Notons au passage que ce différentiel de coût est le problème le plus immédiat : le transport routier de marchandises (TRM) coûte relativement moins cher que le fret ferroviaire. Dans un rapport de 2013, le sénateur Edmond Hervé affirme ainsi que « les coûts salariaux de la SNCF ont connu une augmentation plus rapide que ceux du transport routier ».
Ensuite, le réseau étant essentiellement pensé pour le transport de voyageurs, le fret ferroviaire présente un défaut de fiabilité. Les expéditeurs ne sont pas certains de voir leurs marchandises livrées en temps et en heure, dans la mesure où les priorités de sillons sont données aux trains de voyageurs. Ceux-ci circulent généralement plus vite que les trains de marchandises, ce qui génère des problèmes d’articulation.
2) Flexibilité et transport combiné
Enfin, le transport ferroviaire de marchandises souffre d’un défaut de flexibilité : l’organisation du réseau ferré, ainsi que les contraintes liées au chargement des wagons, ne permettent pas un acheminement optimal des marchandises.
Ce problème pourrait être partiellement résolu par le développement de solutions intermodales, c’est-à-dire par la combinaison de plusieurs modes de transports au cours d’un même trajet. On parle aussi de transport combiné.
D’une part, le transport combiné rail-route nécessite des plateformes de transition des conteneurs, du train vers le camion. De plus, le ferroutage ajoute un intermédiaire dans la prestation de transports, occasionnant des surcoûts de transaction.
D’autre part, comme le soulignait successivement les rapports sénatoriaux Grignon (2010), et Hervé (2013), les ports français sont non seulement moins importants en tonnage que leurs concurrents européens, mais en plus insuffisamment reliés aux voies de chemins de fer et aux connexions fluviales. Ceci limite le potentiel de combinaison rail-mer.
B) Les faiblesses structurelles et nationales du fret fluvial
Le fret fluvial a globalement stagné depuis 2000, avant de décliner légèrement depuis 2014. Il faut remarquer que si la France dispose du réseau de voies navigables le plus long d’Europe (8500 kilomètres), seule la moitié de ce réseau est affectée au transport de marchandises, et moins du quart est adapté à une exploitation commerciale moderne. Selon le média indépendant en ligne « Basta », la France est ainsi l’un des plus faibles utilisateurs du transport fluvial en Europe.
Ici, les défauts de flexibilité et de fiabilité du ferroviaire sont aggravés par l’évidente impossibilité d’agrandir le réseau de voies navigables. Mais la faiblesse du fret fluvial français s’explique aussi par l’importance du nucléaire dans notre mix énergétique, ainsi que par la désindustrialisation. En effet, le déclin de la production française de charbon depuis la Seconde guerre mondiale a été plus rapide qu’en Allemagne. Même chose pour le déclin de l’industrie sidérurgique. Or, le fluvial s’était historiquement spécialisé dans le transport du charbon et de l’acier.
C) Et à l’échelle de la région Sud-PACA ?
1) Fret fluvial
En 2015, en région Sud-PACA, un peu plus d’un milliard de tonnes-km ont été transportées par voie fluviale, selon le rapport de l’ORT pré-cité. Ceci représente une baisse de 3,5 % par rapport à l’année précédente. Ce trafic est bien sûr largement inférieur au volume transporté par la route (plus de 14 milliards de tonnes-km). Il constitue toutefois une part importante du fret fluvial national : en 2018, selon le CGDD, 6,7 milliards de tonnes-km ont été transportées par voie fluvial. L’embouchure du Rhône sur la mer Méditerranée et le Grand Port Maritime de Marseille-Fos (GPMM) permet donc à la région Sud-PACA de peser à hauteur d’environ 15 % de l’activité de fret fluvial en France.
2) Fret ferroviaire
Selon une étude du CETE Méditerranée, le trafic ferroviaire en PACA représente 27 millions de tonnes en 2010. A titre comparatif, cette année là, 165 millions de tonnes ont été transportées par la route dans la région.
A en croire le rapport Hervé, la région PACA n’a pourtant pas à rougir sur le plan du fret ferroviaire. Ainsi, en 2006, elle se positionne parmi les régions dont le degré d’utilisation du rail est le plus élevé (presque 11 000 tonnes par kilomètre de ligne en service, soit le double de la moyenne nationale), et dont le tonnage transporté par rail est le plus élevé (un peu plus de 15 millions de tonnes, soit autant qu’en Ile-de-France). Parmi ses atouts, la région peut là encore compter sur le rayonnement du GPMM, mais aussi sur le point frontière de Vintimille.
Depuis, à en croire l’ORT, le fret ferroviaire semble « reprendre des couleurs » en région PACA. On dénombre ainsi six chantiers de transport combiné rail-route dans la région. Ces chantiers ont une importance logistique cruciale, puisque c’est là que sont effectués les transferts de conteneurs et de caisses mobiles, de la route au train et vice-versa.
Cela dit, le même rapport sénatorial de 2013 montre que des progrès sont à réaliser au niveau de la densité des infrastructures ferroviaires. En 2006, en région PACA, 45 mètres par km² de lignes ferroviaires sont en service (rapporté à la superficie régionale), contre 57m/km² en moyenne nationale, et plus de 120m/km² en Ile-de-France. De plus, sur les six chantiers de transport combiné que nous venons d’évoquer, cinq sont situés dans les Bouches-du-Rhône, et aucun dans les trois départements de l’Est et du Nord de la Région (malgré le rôle de ces départements sur le plan du transit frontalier).
In : Observatoire Régional des Transports, Le journal des transports, op. cit.
Malgré un niveau d’activité relativement élevé, le fret ferroviaire en PACA souffre donc d’un réseau ferré insuffisamment déployé, ainsi que d’une certaine disparité entre départements. En attendant les investissements publics adéquats, d’autres pistes de décarbonation du fret doivent être envisagées.
III) L’amélioration de l’efficacité énergétique du TRM
A) Optimiser l’organisation du transport
Selon Alan McKinnon, « environ 30 % des distances couvertes par camion sont parcourues à vide » et « un très grand nombre de véhicules sont loin d’être chargés à pleine capacité ». Il existe donc d’importantes marges de progrès dans l’organisation du transport. L’optimisation des trajets et du tonnage des véhicules présente un double intérêt, économique en environnemental. Cet effort d’optimisation suppose un partage des informations et une mise en réseau des entreprises logistiques, qui pourraient alors organiser leurs flux physiques en parfaite connaissance de leur environnement. Un tel effort de mutualisation n’est probablement réalisable qu’à moyen-long terme.
B) Améliorer la performance des véhicules
En matière de performance énergétique des véhicules, d’importants progrès technologiques ont été réalisés puis plusieurs décennies, en particulier sur la consommation nominale des moteurs diesel. Toutefois, il est encore possible de diminuer cette consommation unitaire. Les mesures permettant de poursuivre cette diminution ne seront pas détaillées ici, pour plusieurs raisons. Premièrement, l’évolution technologique des véhicules se fait par pallier, à un rythme assez rapide dans le cas des poids-lourds. Cette évolution est donc en quelque sorte automatiquement entraînée par le marché et le progrès technique, les pouvoirs publics n’ont pas besoin de l’inciter. Deuxièmement, l’amélioration de la performance des moteurs n’est pas créatrice de nouvelles filières, et conforte l’hégémonie des énergies fossiles. Elle ne prépare donc pas non plus l’avenir du transport. Troisièmement, les véhicules usagés selon les normes européennes se voient souvent exportés vers les pays en développement, qui en subissent alors localement les rejets.
Pour toutes ces raisons, l’amélioration de la performance des véhicules ne constitue qu’une solution à très court terme, aux effets géographiquement restreints, et peu ambitieuse.
C) Recourir aux nouvelles énergies
Le recours accru aux énergies alternatives est une solution plus ambitieuse, sur laquelle nous allons nous concentrer dans la suite de ce rapport. Pour le décideur public, cette approche soulève de nombreux défis : investissements en recherche et innovation, déploiement des infrastructures d’avitaillement, accompagnement des constructeurs de poids-lourds et des transporteurs… il est cependant crucial de relever ces défis pour réussir la transition vers un TRM bas carbone.
De plus, au-delà des aspects environnementaux, la transition du TRM vers les énergies alternatives est un gisement de valeur économique et sociale considérable. Le développement de technologies décarbonées (biocarburants, gaz naturel, hydrogène, électrique) à bas coût est un défi pour la recherche scientifique nationale. L’installation des infrastructures peut être générateur d’emplois locaux. La production de biocarburants, de batteries et de véhicules électriques positionnerait la France sur un secteur industriel stratégique. Bref, le recours aux nouvelles énergies dans le secteur du TRM s’accompagnerait de créations d’emplois à haute valeur ajoutée.
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On a vu que la Région PACA était un territoire sur lequel les activités logistiques jouent un rôle majeur. Dans la perspective d’une action publique écologique de proximité, nous envisagerons donc la conversion énergétique du TRM à l’échelle régionale.
Partie III : Un état des lieux des énergies alternatives envisageables pour le TRM
Dans ce qui suit, nous nous appuyons sur le rapport Savy pré-cité, ainsi que sur les travaux de l’institut IFPEN et le dossier comparatif proposé Julien Perrot sur europe-camions.com.
I) La filière biocarburants
Les biocarburants sont des carburants produits à partir de matières organiques végétales ou animales.
A) Les biocarburants de 1ère génération
Les biocarburants de première génération sont des produits d’origine agricole, utilisés en mélange avec les carburants traditionnels. Il en existe deux grands types :
- l’éthanol (ou son dérivé l’ETBE) est un produit de plantes sucrières comme la canne à sucre et la betterave, ou de plantes amylacées comme le blé ou le maïs. Après fermentation des sucres, il est introduit dans les essences, à un certain pourcentage (à 95 % dans le cas du carburant ED95). On parle aussi de bioéthanol.
- les esters méthyliques d’huile végétale (EMHV), ou animale, sont obtenus par transestérification à partir d’oléagineux (tournesol, colza), et plus rarement, à partir de micro-algues ou de déchets d’abattoirs. Il sont introduit dans le gazole, là encore à un certain pourcentage (jusqu’à 100% pour le carburant B100). On parle aussi de biodiesel, ou de diester.
L’atout principal des biocarburants de 1ère génération est qu’ils peuvent être mélangés à l’essence et au gazole, profitant ainsi des réseaux de distribution classiques de carburants, et qu’ils ne nécessitent pas de bouleversement technologique majeur au niveau des moteurs des véhicules. A ceci près que dans le cas du biodiesel, l’utilisation d’une fraction d’huile supérieure à 30% (carburant B30) nécessite l’usage d’un moteur adapté.
Les surcoûts d’utilisation sont en tout cas faibles : faciles à manipuler et à stocker, les biocarburants ne nécessitent que de faibles investissements en infrastructures. Les frais d’exploitation d’une flotte de poids lourds fonctionnant aux biocarburants sont comparables à ceux équipés de moteurs carburant au gazole.
Le bilan carbone de ces biocarburants de 1ère génération, comparativement au diesel, est très positif. Selon le biologiste Julien Perrot, « du puits à la roue, l’éthanol ED95 offre en moyenne 71% d’émissions de CO2 en moins que le gazole, et le biodiesel B100 jusqu’à 60%. Pour l’ED95 fabriqué à base de déchets forestiers, les rejets de CO2 peuvent même diminuer de 90% ». En revanche, les moteurs utilisant les biocarburants produisent davantage d’oxydes d’azote (NOx) que les moteurs diesel conventionnels.
L’Union européenne (UE) avait donc interdit l’usage de biodiesel dont la part d’EMHV est supérieure à 7 % (carburant B7). En France, si les carburants B7 et B10 sont disponibles en station-service, les carburants B30 et B100 sont inaccessibles au grand public : leur utilisation est réservée à des « flottes captives » de véhicules, dont les conditions de maintenance sont adaptées.
Leur principal inconvénient, outre ce problème de rejets de NOx, réside dans la hausse de la demande en terres cultivables induite par la production de biocarburants d’origine agricole. Cette production entre nécessairement en conflit avec l’alimentation humaine, et pourrait se traduire, à terme, par une hausse du prix des denrées alimentaires. Cette pression exercée sur les terres a aussi des effets environnementaux : incitation à la déforestation, perte en biodiversité… Quelques incertitudes subsistent également quant à leurs effets sur l’eau et l’érosion des sols.
Autre inconvénient spécifique au bioéthanol : une tendance à la surconsommation, de l’ordre de 20 à 30 % par rapport à un véhicule diesel. Ce biocarburant s’adresse donc davantage aux véhicules légers, pour une utilisation urbaine ou régionale.
Face aux dommages causés par la déforestation et la culture intensive dans les pays du Sud, l’UE a progressivement abaissé ses normes quant à la part de biodiesel et de bioéthanol dans les carburants. Une directive européenne de 2018 a ainsi fixé le taux plafond à 7% d’agrocarburants de première génération dans la consommation finale des transports, en 2030.
B) Les biocarburants de 2ème génération
Le biocarburants de 2ème génération, ou carburants de synthèse de haute qualité, sont obtenus par des procédés thermochimiques ou biochimiques qui utilisent la biomasse dans sa totalité : l’institut IFPEN parle de filière « BtL », pour Biomass to Liquid. Ils peuvent être directement substitués aux carburants pétroliers, ce qui représente un gain important par rapport aux biocarburants de première génération. De plus, ils ne nécessitent pas le même volume de culture agricole.
Suivant ce procédé, le gazole peut être produit de manière synthétique, à partir de matières renouvelables : graisses animales et végétales, huile de colza, déchets d’abattoir. Les rejets de CO2 sont alors inférieurs de 90 % à ceux du gazole traditionnel. Toujours selon le dossier proposé par Julien Perrot, « Ce carburant est parfaitement adapté aux moteurs diesel à haut rendement et peut être librement mélangé au gazole ordinaire. Les émissions d’oxydes d’azote et de particules du gazole synthétique sont inférieures à celles du gazole fossile, mais sa teneur énergétique par litre de carburant est légèrement plus faible. Ce carburant peut être distribué par le biais des dépôts de gazole déjà existants, et fait appel au même type de réservoir et de pompe que le gazole classique. »
Le gazole synthétique peut également s’obtenir via un l’électrolyse, un procédé coûteux et complexe, qui fait en tout cas l’objet d’expérimentations de la part du groupe Bosch.
Le bio-DME (diméthyléther) est considéré par Volvo Trucks (qui le développe) comme « l’un des carburants de substitution au gazole les plus prometteurs ». Ce biocarburant rejette 95 % de CO2 de moins que le gazole fossile, aucune particule de suie, très peu de particules et d’oxydes d’azote. Son rendement énergétique global est élevé, garantissant une faible consommation de carburant. De plus, les moteurs roulant au bio-DME sont moins bruyants.
Ce biocarburant est fabriqué à partir de la liqueur noire, un résidu à forte teneur énergétique issu de la production de pâte à papier. La teneur énergétique du DME est toutefois inférieure à celle du gazole, un volume de réservoir supérieur est donc nécessaire pour garantir la même autonomie du camion, jusqu’à 650km. Le bio-DME peut également être produit à partir d’autres matériaux renouvelables, comme les résidus forestiers, les déchets ou le fumier.
C) Les biocarburants en PACA
En 2015, le groupe Total a annoncé son intention de transformer sa raffinerie de La Mède (Châteauneuf-les-Martigues, près de Marseille) pour en faire un site « tourné vers les énergies d’avenir ». La bioraffinerie de La Mède est donc opérationnelle depuis juillet 2019. Selon Total, il s’agit de la première bioraffinerie de taille mondiale en France. Sa capacité de production annuelle est de 500 000 tonnes de biodiesel HVO (Hydrotreated Vegetable Oil, hydrotraitement des huiles végétales).
Il faut noter que cette production dépend à plus de 50 % d’huile de palme importée. D’un point de vue économique comme environnemental, le modèle de bioraffinerie tel que proposé par Total est donc limité. Avant même sa mise en service, les agriculteurs locaux ont d’ailleurs fait savoir leur opposition au projet de La Mède, craignant une concurrence déloyale entre leur production de colza et les huiles de palmes importées.
Plus récemment, depuis janvier 2019, la Région Sud a mis en place un bonus à l’installation d’un kit de conversion au superethanol E85. Le périmètre de cette aide est assez restreint : fixée à 250 euros dans la limite de 50% du montant de la conversion, elle est réservée « aux salariés qui font usage de leur véhicule personnel pour se rendre sur leur lieu de travail » dans un périmètre de 60 km aller-retour en PACA. Ce dispositif ne concerne donc pas les véhicules de transport de marchandises.
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A l’heure actuelle, la Région ne semble donc pas s’être investie de la question des biocarburants pour un usage logistique. Nous allons voir que les aides de la Région se concentrent sur d’autres énergies plus intéressantes que les biocarburants.
II) La filière gaz
A) Le gaz de pétrole liquéfié (GPL)
Le GPL est considéré comme le premier carburant alternatif d’un point de vue historique. Étant donné sa dépendance aux énergies fossiles (40 % du GPL est issu du raffinage du pétrole, 60 % du gaz naturel), son faible apport environnemental (les rejets de CO2 du GPL sont inférieurs à ceux de l’essence mais supérieurs à ceux du gasoil), ses surcoûts d’équipement du véhicule (de l’ordre de 15 à 20 % par rapport au même modèle diesel, toujours selon IFPEN), et la faiblesse du réseau de distribution, nous ne le considérons pas comme une solution crédible.
B) Le gaz naturel pour véhicules (GNV) et le bio-GNV
Le GNV est composé de plus de 85 % de méthane, de 2 à 8 % d’éthane et d’une très faible quantité d’autres hydrocarbures comme le propane et le butane. Il se décline en deux types de carburant :
- Le GNC (Gaz Naturel Comprimé) : Il s’agit de méthane comprimé à 200 bars, sous forme gazeuse. Il s’utilise le plus souvent dans le cadre d’activité de transport en zone courte (son autonomie peut toutefois atteindre 500km en fonction des réservoirs), donc plutôt par des VUL et des bus.
- Le GNL (Gaz Naturel Liquéfié) : Il s’agit de méthane sous forme liquide, nécessitant un maintien à une température de -160°C. Il s’utilise le plus souvent dans le cadre d’activité de transport en zone longue, avec une autonomie pouvant aller jusqu’à 1000km.
Dans les deux cas, le facteur d’émission carbone est de 3,51 kg équivalents CO2 émis (du puits à la roue) pour un kilo de GNV consommé, d’après « Objectif CO2 ». Le GNV peut aussi bien être utilisé pour le transport léger que pour le transport lourd de marchandises. Selon l’institut FCBA, il permet de réduire de 90 % le rejet de particules fines, de 55 % le rejet de NOx (oxydes d’azote). Selon Julien Perrot et l’organisation professionnelle TLF, les rejets de NOx peuvent même être diminués de 70 %. Le bilan carbone du GNV diffère en fonction des études. L’Union TLF estime que les émissions de GES sont baissées de 5 à 10 %, tandis que l’institut IFPEN avance (en 2009) un différentiel de 20 à 24 %.
De plus, le GNL permet de concentrer en un faible volume une quantité d’énergie importante. L’utilisation du GNL est toutefois rendue difficile par une autonomie contraignante et la nécessité de maintien de la température à -160°C. En 2019, l’institut FCBA fait état d’une « bonne dynamique de déploiement du réseau de stations de GNV ». Cette bonne dynamique est confirmée par GRTgaz : selon cette entreprise de transport de gaz en réseau européen, les immatriculations de poids lourds GNV ont connues un bond de 53% en 2019.
Enfin, les véhicules sont moins bruyants que les diesels. Leur avitaillement est rapide : 10 minutes maximum.
- La fillière gaz s’oriente de plus en plus vers le développement d’un réseau d’avitaillement en bio-GNV. Celui-ci désigne le GNV composé de méthane d’origine 100% renouvelable, ou « biométhane » (fermentation de déchets – biodéchets des ménages, déchets de l’industrie agroalimentaire, effluents agricoles, boues de station d’épuration…).
L’utilisation de bioGNV permet un gain de 80% en CO2 et 90% de particules par rapport à l’utilisation de diesel. Le facteur d’émission est de 0,82 kg équivalent-CO2 pour un kilo de bioGNV consommé.
Le GNV occasionne toutefois d’importants surcoûts à l’achat du camion. Ce surcoût d’achat, bien qu’inférieur à celui d’un véhicule électrique, peut être partiellement compensé par des économies à l’usage : les dispositifs fiscaux ont rendu le GNV beaucoup moins coûteux que le gazole. Le prix moyen du kilo de GNV est ainsi de 20 à 30 % inférieur au litre de gazole. Ajoutons encore que le GNL nécessite une formation spécifique et des équipements de protection individuelle (EPI) pour les opérateurs du ravitaillement.
C) Le GNV en PACA
Selon le site gaz-mobilite.fr, on dénombre aujourd’hui 14 stations GNV en région Sud-PACA, dont six sont d’ores et déjà ouvertes. Cela laisse donc huit projets de stations, dont l’ouverture est prévue entre octobre 2020 et juin 2021. A titre de comparaison, il y a 225 stations GNV pour poids-lourds en France : 11 en région Occitanie, 32 en région Auvergne-Rhône-Alpes, 43 en Île-de-France. D’importants progrès peuvent donc être réalisés en PACA.
Sur ces 14 stations, neuf se situent dans le département des Bouches-du-Rhône, une seule en Vaucluse (Montfavet) aucune dans les Hautes-Alpes. Sept stations sont exploitées par l’opérateur Proviridis, et trois par Total. Quatre stations permettent un approvisionnement en bio-GNV (dont trois exploitées par Proviridis), mais une seule de ces quatre stations est actuellement ouverte : celle de Puget-sur-Argens, dans le Var. L’ouverture des trois autres est prévue pour octobre 2020.
En ce qui concerne la production (donc en amont de la distribution), selon le site
bio-methaneregions.eu, la région PACA compte 6 unités de valorisation de biogaz, 4 unités en phase d’investissement, 8 unités en étude de faisabilité et 25 projets en phase d’éclosion. On compte 10 unités de méthanisation (fermentation de déchets organiques) sur le territoire régional, dont trois en Vaucluse. C’est peu, compte tenu des 570 unités de méthanisation en France en 2018. Ajoutons encore que PACA compte 14 unités de compostage, qui permettent la transformation de déchets en compost. Les départements alpins (principalement les Alpes-de-Haute-Provence) concentrent la quasi-totalité de ces unités de compostage.
Si l’avitaillement en GNV est donc inégalement assuré sur le territoire régional, il est de bonne augure de constater l’existence d’un groupe spécialisé, innovant et récemment créé : Providiris, ainsi que de projets d’ouvertures de stations. La Région, Autorité organisatrice de transports, a déjà commencé à avancer dans cette voie, puisqu’en mars 2019, elle a inauguré sept nouveaux autocars roulant au GNV. Il faut poursuivre dans cette voie en accordant un soutien direct aux piliers locaux de l’innovation.
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En dépit de quelques inconvénients techniques, le GNV, et plus particulièrement sa forme renouvelable, est une solution d’avenir. Ainsi, plusieurs collectivités (régions, métropoles) proposent d’ores et déjà des aides financières aux entreprises qui investissent dans le (bio)GNV. Le montant de l’aide diffère selon la collectivité, et il peut être adossé à différents critères : type de véhicule, taille de l’entreprise, surcoût d’investissement à amortir… Nous reviendrons un peu plus loin sur ces dispositifs.
III) La filière hydrogène
A) Une technologie novatrice et propre mais coûteuse
Dans son rapport de 2008, l’ingénieur Michel Savy considérait l’hydrogène comme « le carburant idéal dans l’absolu ». Il s’agit en effet d’une énergie absolument propre : l’électricité obtenue par oxydation de l’hydrogène, ne rejette ni GES, ni particules polluantes, mais uniquement de la vapeur d’eau. Précisons ainsi que l’hydrogène n’est pas directement utilisé comme carburant, mais comme vecteur d’énergie électrique.
L’hydrogène peut être obtenu suivant le procédé d’électrolyse de l’eau : les molécules d’eau (H2O) sont alors séparées en molécules d’hydrogène (H2) et d’oxygène (O). Ccei nécessite de recourir à une source d’électricité la plus décarbonée possible (donc nucléaire ou renouvelable). Mais il s’agit d’un procédé coûteux, lourd en infrastructures, au rendement énergétique faible. L’hydrogène peut également s’obtenir par « vaporeformage » du méthane, mais il s’agit d’un procédé beaucoup plus polluant : le méthane reste une énergie fossile, au potentiel de réchauffement bien supérieur à celui du dioxyde de carbone.
Son utilisation comme carburant nécessiterait en tout cas d’équiper les véhicules de piles à combustible. Or, la fabrication de ces piles nécessite une quantité importante de platine, un métal rare, ou alors des membranes échangeuses d’ions, elles aussi très coûteuses. Difficulté supplémentaire dans le cas du TRM : selon Julien Perrot, « aucune méthode ne permet de transporter des quantités suffisantes d’hydrogène gazeux pour effectuer des trajets sur de longues distances ».
Ces difficultés peuvent être contournées en envisageant non pas une utilisation pure de l’hydrogène, mais en mélange avec du gaz naturel (jusqu’à 20%), dans un moteur à combustion interne. Ce n’est pas la solution qui a été choisie par Toyota. Le groupe japonais s’est récemment associé à sa filiale Hino dans le but de développer un poids-lourd (25t de PTAC), muni d’un moteur électrique actionné par une pile à combustible à hydrogène.
En tout cas, l’autonomie de ces piles à hydrogène est supérieure à celle d’une batterie électrique, et le ravitaillement s’effectue rapidement. Ajoutons également que le volume embarqué est deux fois moins important qu’un système électrique, et que le moteur est quatre fois moins lourd.
Il s’agit en tout état de cause d’un combustible hautement inflammable et donc dangereux, dont la distribution n’est que peu assurée actuellement. Et pour cause : selon l’ADEME, le surcoût d’un véhicule hydrogène est de plus de 400 % par rapport à un véhicule thermique. Si des véhicules individuels (berlines, SUV…), ainsi que des bus et autocars, sont d’ores et déjà commercialisés avec cette technologie, le secteur poids-lourds en est encore à la phase de Recherche & Développement.
Une pile à combustible pour automobile développée par le CEA en 2006.
B) L’hydrogène en régions
Il existe actuellement trois stations hydrogène en région PACA, toutes trois dans le département du Var. Deux d’entre elles sont situées dans la commune de Signes (dont une à l’état de projet), la troisième à la-Seyne-sur-Mer. Là encore, la région Auvergne-Rhône-Alpes semble en avance, avec neuf stations, dont deux en projet. Six stations sont ouvertes en région Ile-de-France.
Mais compte-tenu des marges de progression à réaliser sur cette énergie, notamment en terme de compétitivité et de stockage, ce n’est pas tant le réseau d’avitaillement des différentes régions qu’il faut regarder, mais plutôt l’état de leur implication dans la filière (production, R&D…). Une carte de l’ADEME (Annexe 7) permet de se rendre compte que la Région Occitanie est vraisemblablement pionnière de la filière hydrogène en France, avec de nombreuses infrastructures à différents niveaux. Et pour cause : en juin 2019, le Conseil Régional d’Occitanie a lancé un plan « Hydrogène Vert Occitanie », mobilisant 150 millions d’euros de budget sur une décennie. Au total, « d’ici 2030 sont planifiées deux usines de production d’hydrogène vert, 55 stations de production et distribution d’hydrogène vert, 10 électrolyseurs et 3 250 véhicules hydrogène ».
La Nouvelle-Aquitaine et la Bourgogne-Franche-Comté sont également très présentes, notamment sur le plan du stockage et de la production de piles. En région PACA, on peut évoquer le site Jupiter 1000 à Fos-sur-Mer. Ce site produit et injecte de l’hydrogène vert (obtenu par électrolyse, à partir de l’électricité issue des énergies renouvelables) dans le réseau de transport de gaz, pour alimenter les clients en aval. Toujours à Fos-sur-Mer, le groupe Air Liquide a tout récemment annoncé la « construction de la première station hydrogène haute pression d’Europe. Cette station alimentera la première flotte de camions à hydrogène effectuant de longues distances ». Sa mise en service est prévue pour début 2022. La PME Providiris, que nous avons déjà évoqué, est également présente dans cette filière, via ses projets d’installations multi-énergies (production et distribution de GNV et d’hydrogène).
En 2019, la Région est entrée via Sud investissement dans le capital de la start-up Hysilabs, pour mûrir une technologie qui consiste à transporter l’hydrogène grâce à un vecteur liquide, « ce qui permet d’en transporter sept fois plus par la route que sous forme de gaz, avec des camions bien moins onéreux ». De la même manière que pour le GNV, la Région propose également une aide à l’achat ou à la location d’un véhicule neuf ou d’occasion : c’est la mesure 11 du Plan Climat adopté par le Conseil régional en décembre 2017. Pour les véhicules dont le PTAC est supérieur à 3,5t, le montant de l’aide peut aller de 6000 à 15 000€ (en fonction du PTAC).
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Les acteurs économiques de la Région, qu’ils soient publics ou privés, ont donc commencé à se positionner sur la question de la production, de l’acheminement et de la distribution de l’hydrogène, y compris pour alimenter le moteur de véhicules. Il faut poursuivre cet effort d’innovation et de recherche pour faire de l’hydrogène un carburant crédible et compétitif à horizon 2030.
IV) La filière électrique
A) Une filière qui doit encore progresser
Les véhicules électriques (et hybrides rechargeables) sont souvent mis en avant comme la solution immédiate de mobilité propre et décarbonée. On peut donc logiquement s’attendre, dans les années à venir, à une hausse de la demande pour ces systèmes électriques. Face à la pression qui s’exercera alors sur le réseau de distribution d’électricité, il est aussi logique de s’attendre à une hausse de la production d’électricité. Or, celle-ci peut être émettrice de GES, annulant ainsi les bénéfices environnementaux de l’utilisation de véhicules propres. Toute réflexion sur la généralisation des moteurs électriques doit donc s’accompagner d’une réflexion sur le partage entre énergie nucléaire et énergies renouvelables, dans la production d’électricité.
De même, le cycle de vie des batteries (production, recyclage) peut être fortement émetteur de GES et de polluants. Les procédés d’extraction des matériaux nécessaires à leur fabrication sont souvent, à juste titre, pointés du doigt : l’extraction du lithium et du cobalt, dans des exploitations minières d’Amérique du Sud, du Congo ou de Chine, se fait souvent au détriment de l’environnement (pollution des sols) et des travailleurs (sécurité rudimentaire, enfants, etc). Dans l’absolu, l’idéal serait l’avènement d’une filière industrielle de la batterie en Union européenne, respectant ainsi des normes sociales et environnementales. Cela ne pourra se faire sans un effort d’innovation concerté et sans précédent.
En tout état de cause, les avantages évoqués au sujet des véhicules à pile à combustible, sont également valables au sujet des véhicules à batterie électrique : aucune émission directe, aucune nuisance sonore ni olfactive, un rendement énergétique (consommation) supérieur aux diesels. A cela, il faut rajouter des économies d’usage : selon Julien Perrot, le prix de l’électricité est globalement moins élevé que celui du carburant.
Côté inconvénients, les questions de l’autonomie (100 à 250km en moyenne) et du temps de recharge (8h pour un poids-lourd), sont bien sûr inévitables. Sur ce point, il faut remarquer que « des systèmes de récupération d’énergie au freinage permettent d’augmenter l’autonomie, et des chargeurs électriques embarqués sur les véhicules autorisent des recharges sur de simples prises électriques ». Le déploiement d’infrastructures de recharges spécifiquement dédies aux véhicules à grand gabarit doit encore être étudié.
De même, la question des surcoûts à l’achat, de l’ordre de 25 à 30 000€ selon l’ADEME, ne peut être éludée. Toutefois, notons que ce surcoût est en partie causé par l’offre très limitée de poids-lourds électriques au-delà de 12t (grands porteurs). Les dispositifs d’aide publique à la conversion mis en place depuis 2015 contribuent en tout cas à amoindrir ce surcoût. Ainsi, « en France, il existe un bonus écologique de 7.000 euros à l’achat d’un poids lourd électrique, comme pour la voiture, mais seulement jusqu’à 4,5 t ».
On peut d’ores et déjà se questionner sur la soutenabilité, pour les finances publiques, de ce type de subvention si l’électrique venait à se généraliser. Pour atténuer cette charge, c’est bien le coût des batteries qui devra diminuer, rendant les véhicules plus compétitifs. Seul un effort de recherche et de développement industriel mené à l’échelle européenne pourra répondre à ce défi.
A l’heure actuelle, les systèmes 100 % électriques concernent principalement les véhicules utilitaires légers (VUL). L’utilisation de camions 100% électriques est ainsi limitée aux livraisons dans les milieux urbains et péri-urbains, aux activités de messagerie, et aux trajets sur courte distance. Cela dit, le constructeur Renault Trucks affirme que « la moitié des tonnages transportés en Europe parcourent moins de 50 km ». Les constructeurs ont déjà commencé à présenter des prototypes de poids-lourds 100 % électriques. C’est en particulier le cas de Renault Trucks (qui commercialise notamment une benne à ordures ménagères 100 % électrique), des allemands Mercedes et MAN (filiale de Volkswagen), ou encore du suédois Volvo.
B) L’électrique en PACA
L’aide proposée par la Région via son Plan Climat, que nous avons évoqué pour le GNV et l’hydrogène, s’applique également pour l’acquisition d’un véhicule électrique (et hybride rechargeable). En ce qui concerne les poids lourds (plus de 3,5t de PTAC) neufs, cette subvention peut aller de 6000€ (3000€ en occasion) à 15 000€ (7500€ en occasion), toujours en fonction du PTAC du véhicule.
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V) Un bilan d’étape
Cette revue des différentes énergies alternatives utilisables pour le TRM donne au décideur public une idée des pistes à prioriser. Les biocarburants de première génération (bioéthanol, biodiesel) sont peu coûteux et déjà répandus, mais ont des effets néfastes sur le plan de l’agriculture intensive ainsi que des rejets de particules. Les biocarburants de deuxième génération (gazole synthétique, bio-DME) règlent une partie de ces problèmes, mais leur rendement énergétique est faible.
En dépit de quelques contraintes pratiques (notamment liées à sa dangerosité), le Gaz Naturel Véhicule est une alternative crédible et accessible. A l’initiative des institutions mais aussi des start-ups, une véritable dynamique s’est créée autour de la filière GNV, en particulier s’agissant de sa version renouvelable, le bioGNV.
Les moteurs électriques doivent encore faire face à de nombreux défis techniques et économiques. Les stratégies de recherche industrielle doivent principalement porter sur le volume et le coût des batteries. Une fois ce problème réglé, un investissement massif devra être porté sur le développement des véhicules à hydrogène. En effet, les systèmes à piles à combustible ont une empreinte environnementale au moins équivalente à celle des moteurs électriques, et bien supérieure à celle des hybrides rechargeables, en particulier si l’hydrogène est produit par électrolyse.
Une politique de transition énergétique du fret routier doit donc s’appuyer à court terme, sur le GNV, et à moyen terme, sur l’hydrogène. Dans la prochaine partie, nous allons voir quel serait le cadre juridique d’une telle politique. Nous envisagerons ensuite différentes mesures qui pourraient l’accompagner.
Partie IV : éléments d’opportunité pour une décarbonation du TRM
L’Accord de Paris sur le Climat, signé par 195 pays lors de la Conférence des Parties de 2015 (COP21), prévoit de contenir le réchauffement climatique en-dessous de 2°C par rapport au niveau pré-industriel, à horizon 2100. Les pays signataires se sont également engagés à « poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C ». En Europe, ces objectifs sont déclinés dans des programmes communautaires, nationaux et régionaux.
I) Les objectifs européens
Dans le cadre de sa compétence en transports, partagée avec les États membres, l’UE établit des objectifs à atteindre pour le transport de voyageurs et de marchandises. En mars 2011, la Commission européenne présentait sa « Feuille de route pour un espace européen unique des transports ». Cette stratégie prévoyait de « faire baisser de 60 % les émissions de carbone de l’Union liées aux transports d’ici à 2050 ».
De manière plus englobante, le paquet climat-énergie élaboré en 2008 et révisé en 2014 fixe un objectifs plus immédiat et contraignant : en 2030, les émissions de GES de l’UE devront avoir diminuées de 40 % par rapport à 1990. Le mix énergétique devra comporter 27 % d’énergies renouvelables.
Une directive de décembre 2018 fixe l’objectif de 14 % d’énergies renouvelables dans les transports en 2030. La part des biocarburants avancés (deuxième génération) et du biogaz doit être d’au moins 1% en 2025 et d’au moins 3,5 % en 2030.
II) Les objectifs nationaux
A l’échelle de la France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) publiée en novembre 2015, prévoit la neutralité carbone à horizon 2050, ce qui implique une division par six de nos émissions de GES par rapport à leur niveau de 1990. D’ici 2030, nos émissions de GES devront avoir diminuées de 40 % (reprenant ainsi l’objectif européen). Ces objectifs ont été inscrits dans la loi « énergie-climat » du 8 novembre 2019.
Afin de guider les acteurs économiques vers le neutralité carbone, cette feuille de route fait l’objet de déclinaisons sectorielles. Ainsi, dans le domaine des transports, l’orientation T4 prévoit de « soutenir les collectivités locales et les entreprises dans la mise en place d’initiatives innovantes ». De plus, la loi énergie-climat « encourage la filière hydrogène bas-carbone et renouvelable avec la perspective d’atteindre entre 20 et 40 % de la consommation totale d’hydrogène industriel à l’horizon 2030 ».
Toujours dans le secteur des transports, la SNBC fixe l’objectif de décarbonation complète d’ici 2050. En 2030, les émissions de GES des transports devront avoir diminuées de 28 % par rapport à 2015. Pour cela, le projet prévoit de « Décarboner l’énergie consommée par les véhicules et adapter les infrastructures pour atteindre 35% de ventes de véhicules particuliers neufs électriques ou à hydrogène
en 2030 et 100% en 2040 ».
III) Les objectifs régionaux
A) Le SRCAE de 2013
Le Schéma Régional Climat-Air-Energie (SRCAE) a été arrêté par le Préfet de Région le 17 juillet 2013. Il constitue une feuille de route régionale pour réaliser la transition énergétique, lutter contrer le changement climatique et s’y adapter et améliorer la qualité de l’air. Il est élaboré par le Conseil régional, en concertation avec des acteurs territoriaux, qu’ils soient étatiques, professionnels indépendants ou salariés.
En matière de changement climatique, la révision de la SNBC étant intervenue cinq ans après l’adoption de ce SRCAE, celui-ci se réfère au « facteur 4 », c’est-à-dire à l’objectif de division par quatre des émissions de GES nationales d’ici 2050. A plus court terme (2020), il se référait à l’objectif « 20 – 20 – 20 » du premier « Paquet Climat » de l’UE.
Sur la question plus spécifique des transports (le SRCAE est décliné en orientations sectorielles, dont l’une d’elles porte sur les transports et l’urbanisme), l’orientation T&U6 prévoyait de « réduire les impacts du transport des marchandises en termes de consommation d’énergie et d’émissions de GES et de polluants ». Mais le détail de cette orientation ne faisait nullement mention des énergies alternatives. En 2013, la politique régionale en matière de fret était plutôt axé sur le report modal et le développement des infrastructures fluviales et ferroviaires.
Sur le point plus englobant des énergies, la Région se fixait bien un objectif de méthanisation des déchets : 1100 GWh d’énergies produite en 2030, mais la place du GNV dans cette production d’énergie était marginale. A cela, la Schéma ajoutait un objectif de valorisation des déchets agricoles par méthanisation : 200 GWh en 2030. En Annexe 8, l’extrait correspondant est disponible, bien que le document manque de clarté.
Faute d’objectifs contraignants, le document établissait tout de même parmi ses orientations : « Dans le secteur des transports, l’évolution vers des motorisations alternatives permettra de réduire fortement les émissions de GES du secteur. En particulier, les pistes prometteuses sont les véhicules électriques alimentés par des énergies renouvelables (éventuellement via des piles à combustibles hydrogène), et le développement des véhicules GNV alimentés par du biogaz produit à partir de déchets ou par du méthane produit par méthanation. »
Notons qu’il s’agit de la seule occurrence du terme « hydrogène », appliqué aux transports, dans tout le document. La démarche du Conseil Régional, en 2013, était donc très minimaliste, en ambition comme en clarté.
B) Le bilan du SRCAE (2018)
Adoptée en août 2015, la loi NOTRe place la Région comme chef de file en matière d’énergie, d’air et de climat, mais aussi de transports et de développement économique. La question de la décarbonation du fret routier étant au croisement de toutes ces thématiques, il est désormais inévitable que la Région s’en saisisse. Dans une volonté de simplification, le législateur a en outre créé le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET), qui fusionne plusieurs schémas sectoriels, dont le SRCAE. La Région devait donc faire le bilan du SRCAE, en vue de son intégration au SRADDET prochainement élaboré.
Ce bilan a été arrêté le 18 octobre 2018. Précisons qu’il ne rend pas compte des résultats de la politique régionale de 2013 à 2018, mais plutôt de 2007 à 2013-15.
Si les objectifs régionaux sont amplement atteints sur le plan de la méthanisation exprimée en tonnes de déchets valorisés, le retard est considérable si l’on s’intéresse à la production de biogaz exprimée en MWh :
In : Bilan du Schéma régional climat air énergie SRCAE, Région Sud, 18 octobre 2018
Si la Région semble être en voie d’atteindre ses objectifs de biocarburants, rien n’est dit sur le GNV. Le parc régional de véhicules accuse un retard en électrification, et il n’est nullement fait mention d’investissements en faveur de la filière hydrogène.
C) Le SRADDET de 2019
Le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires est « chargé d’organiser la stratégie régionale à moyen et long terme (2030 et 2050) en définissant des objectifs et
des règles se rapportant à onze domaines obligatoires ». Il est parfois surnommé « schéma des schémas », puisqu’il intègre notamment le SRCAE, le SRCE (cohérence écologique), ou encore la PRI (intermodalité). Il est élaboré en concertation avec les acteurs locaux, après consultation des établissements publics locaux et de la société civile. Il est organisé en lignes directrices, composées d’objectifs, eux-mêmes déclinés en règles.
Ainsi, la ligne directrice 1 prévoit de « renforcer et pérenniser l’attractivité du territoire régional ».
- L’objectif 3 veut « améliorer la performance de la chaîne logistique jusqu’au dernier kilomètre, en favorisant le report modal ». Si le report modal n’est pas l’objet central développé dans ce rapport, notons que l’action régionale en la matière est réelle. A côté de cela, cet objectif demande aussi « à réduire l’impact environnemental des flux routiers ». A cette fin : « En parallèle et préalablement à la mise en place d’une redevance poids lourds, il est nécessaire d’inciter à une motorisation propre des poids lourds et à la conversion des véhicules au gaz naturel bio, en parallèle d’un réseau de ravitaillement bio GNV ».
- L’objectif 19 prétend « Augmenter la production d’énergie thermique et électrique en assurant un mix énergétique diversifié pour une région neutre en carbone à l’horizon 2050 ».
- Côté gaz, 330 unités de méthanisation doivent être installées d’ici 2030, et 715 d’ici 2050. Celles-ci devront être en capacité de produire 2000 GWh en 2030 et 4105 GWh en 2050.
- Côté hydrogène, il est prévu de soutenir la filière, mais aucun objectif chiffré n’est avancé.
- L’objectif 22 ambitionne de « Contribuer au déploiement de modes de transport propres et au développement des nouvelles mobilités ». Dans le détail, il est prévu de soutenir la conversion GNV des poids-lourds, ainsi que l’innovation dans le transport durable de marchandises. La Région s’est ainsi engagée à « Mettre en œuvre un réseau d’infrastructures d’avitaillement pour carburants alternatifs favorisant les transports collectifs et de marchandises à faibles émissions et l’intermodalité ». Concrètement, si la Région ambitionne de détenir un réseau routier entièrement équipé de bornes électriques en 2021 (une borne tous les 100km), aucun chiffre n’est avancé quant aux stations GNV.
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Par l’intermédiaire du SRADDET, la Région dispose d’un réel pouvoir de planification territoriale. Sur le plan de la conversion du TRM aux nouvelles énergies, les mesures planifiées laissent à désirer. Ce schéma fait la part belle au report modal, et dans la continuité du SRCAE (2013) et du Plan Climat (2017), aux biocarburants. Il demeure nécessaire de développer l’offre de fret ferroviaire et fluvial, ainsi que le transport combiné. L’incorporation de biocarburants dans les carburants traditionnels, reste également une piste à considérer. Mais au vu des éléments techniques et économiques développés précédemment, la transition énergétique du TRM passe par un recours accru aux filières GNV, et à moyen terme, hydrogène. Sur ce point, les objectifs du SRADDET manquent de précision.
IV) Quelques exemples d’action publique locale en faveur du GNV
Le dispositif d’aide de la région Sud a été lancé en mars 2020 dans le cadre du Plan climat régional “une COP d’avance” (mesure 11). Il s’adresse aux véhicules GNV (GNC et GNL) achetés en neuf ou en occasion dont le PTAC est supérieur à 2,5 tonnes. Le montant de l’aide est fonction du poids du véhicule, et peut atteindre 7500€ pour un véhicule neuf. L’aide allouée ne peut dépasser 40 % du coût HT d’acquisition du véhicule. Elle s’adresse aux petites et moyennes entreprises (auto-entrepreneurs compris), ainsi qu’aux établissements publics locaux.
In : « La région Sud finance l’acquisition d’utilitaires et de camions GNV », Michael Torregrossa sur gaz-mobilite.fr, 17 avril 2020
Ce dispositif semble toutefois davantage pensé pour les véhicules utilitaires légers (VUL) que pour les poids lourds. D’autres collectivités, en revanche, ont inclues le secteur du TRM dans leurs aides. C’est le cas de la Métropole Grenoble Alpes, qui propose aux petites et moyennes entreprises jusqu’à 13000€ d’aide pour l’achat (ou la location) d’un seul véhicule, poids-lourds compris, avec bonification GRDF.
Dans le cas de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, l’aide à l’achat du véhicule est complémentaire à une initiative visant à faire émerger les stations d’avitaillement sur le territoire. Basée sur le surcoût d’un véhicule gaz par rapport à son équivalent thermique, l’aide de la Région est également fonction de la taille de l’entreprise, avec un taux d’intervention fixé à 45 % pour les PME et à 35 % pour les grandes entreprises. Par exemple, l’acquisition d’un poids-lourd dont le surcoût est de 30.000 € par rapport au diesel permettra une aide de 13.500 € pour une PME et de 10.500 € pour une grande entreprise.
Cette démarche est donc innovante sur au moins trois aspects. Elle soutient la mobilité au GNV sous l’angle de l’avitaillement et de l’acquisition de véhicules, tout en intégrant une large gamme de véhicules, et d’entreprises éligibles au dispositif. La Région Sud devrait vraisemblablement s’inspirer de cette approche.
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Nous avons évoqué différents types de subventions permettant aux pouvoirs publics locaux de soutenir les nouvelles énergies. Il nous faut à présent envisager d’autres types de mesures permettant d’améliorer la performance environnementale de nos chaînes logistiques.
Partie V : Vers une politique englobante de rationalisation des chaînes logistiques
Les externalités négatives du transport routier de marchandises (TRM) ne se limitent pas aux rejets de polluants et de gaz à effet de serre (GES) des moteurs diesel. Les systèmes de freinage, ainsi que l’usure des pneus, sont également des sources de particules fines. Ces rejets là sont bien plus difficiles à empêcher d’un point de vue technique. Ajoutons à cela que les poids-lourds de fret génèrent d’autres nuisances pour la collectivité : usure du réseau routier, nuisances sonores, congestion des routes nationales et des zones urbaines. Pour toutes ces raisons, une politique de transition écologique du fret routier, doit aller au-delà d’une simple décarbonation des véhicules, pour penser un TRM rationalisé et optimisé.
C’est cette approche qui sera brièvement traitée à présent, dans un premier temps sous l’angle de la logistique urbaine, dans un second temps sous l’angle de l’optimisation des trajets.
I) Repenser la logistique urbaine
A) Quels enjeux environnementaux ?
Qu’il s’agisse de préserver un certain confort de vie en agglomération, ou bien de fluidifier le trafic routier urbain, on ne peut pas accepter la présence de poids-lourds dans les centres urbains, quand bien même il s’agirait de poids-lourds motorisés GNV ou hydrogène. Il est donc nécessaire de poser la question de la logistique urbaine, c’est-à-dire des livraisons aboutissant en ville, voire en centre-ville.
Selon le rapport Savy de 2008, « 40 % des émissions dues aux transports terrestres proviennent de la circulation urbaine, alors que la circulation urbaine ne représente qu’un quart de la circulation nationale totale ». Sur ces 40 %, un quart des émissions sont le fait des transporteurs de marchandises professionnels (le reste est donc dû aux déplacements liés au travail ou aux loisirs). Il faut donc absolument agir sur ce secteur.
Précisons ensuite que les poids-lourds ne représentent qu’une minorité des véhicules utilisés en logistique urbaine : 21 % des livraisons selon une enquête parisienne citée par le Livre blanc de l’association Afilog. Le restant des livraisons se répartit entre les fourgons (36%), breaks et fourgonnettes (30%), et voitures (11%).
B) Professionnalisation, urbanisme et réglementation
Si le Livre blanc d’Afilog date de 2012, la plupart de ses recommandations restent d’actualité. Nous nous permettons alors d’en citer quelques unes, parmi les plus prioritaires :
- « Encourager la professionnalisation des métiers du fret urbain, afin d’améliorer la productivité économique et l’efficacité environnementale par une politique incitative cohérente : véhicules en bon état et aux normes récentes, formation professionnelle des chauffeurs-livreurs, signature d’une charte de bonnes pratiques ». En effet, les livraisons urbaines sont souvent effectuées par des transports en compte propre.
- « Tirer les leçons d’exemples européens pour faciliter l’accès des professionnels au cœur des villes (accès gratuit aux véhicules propres, priorités pour l’usage des aires de livraison et de voies réservées, autorisation des livraisons de nuit aux véhicules silencieux…) ».
- « Mettre en place pour les conducteurs-livreurs, une formation professionnelle obligatoire concernant la sécurité, l’éco-conduite, l’usage des matériels de manutention, le respect des aires de livraison, la réduction des nuisances sonores en particulier la nuit… »
- « Préserver les équipements logistiques existants en ville et lutter ainsi contre l’étalement urbain et protéger l’environnement ».
Les recommandations de l’Afilog reposent ainsi sur quelques lignes directrices : une politique construite en coopération avec les élus, une professionnalisation accrue des livreurs, une réglementation modernisatrice et facilitatrice, mais aussi contraignante. Enfin, les politiques d’urbanisme (PLU, SCOT) doivent intégrer et préserver les aires logistiques.
Dans une étude de 2018 pour la DGITM, un consortium d’experts en logistique dresse également une liste de propositions pour la ville de 2030. Les auteurs recommandent à leur tour une professionnalisation des métiers. A cela, ils ajoutent trois recommandations :
- « La conteneurisation des produits transportés et leur standardisation garantissant l’optimisation physique des stockages, l’intégrité du colis, mais aussi la possibilité que ces conteneurs puissent être stockés n’importe où »,
- « Une normalisation de l’information sur le colis permettant son itinérance quelle que soit la façon dont il est transporté. Cette perspective laisse alors la possibilité à toutes les formes de mutualisation »,
- « une logique d’industrialisation intégrée où la production du produit lui-même est intégrée à sa logistique ».
C) Les collectivités et la logistique urbaine
Depuis 2015, les collectivités locales ont la possibilité de souscrire à une Charte d’engagement volontaire en faveur de la Logistique Urbaine. Ce dispositif est copiloté par l’ADEME et la DGITM, qui mettent à disposition des responsables locaux toute une série d’outils, que l’on peut classer en trois familles :
- un guide de la démarche et des éléments de connaissance sur la logistique urbaine,
- un diagnostic sur la mobilité des marchandises sur le territoire, ainsi que des outils de mise en place d’une stratégie et d’une concertation avec les acteurs locaux,
- le détail des actions pour mettre en œuvre une stratégie de logistique urbaine.
Le rapport final attaché à ce dispositif (voir Bibliographie indicative) énumère toutes les actions que l’AOM (Autorité organisatrice de mobilité) peut entreprendre en matière de logistique urbaine. Il est impossible de toutes les évoquer ici, mais prenons l’exemple des véhicules à faibles émissions, qui peuvent être avantagés par l’AOM. L’article L318-1 du Code de la Route dispose que « dans des conditions fixées par l’autorité organisatrice chargée de la police de la circulation et du stationnement, les véhicules à très faibles émissions peuvent notamment bénéficier de conditions de circulation et de stationnement privilégiées ».
La collectivité, par son pouvoir de police, est donc en capacité de :
- « Permettre l’accès des véhicules à faibles émissions sur une plage horaire étendue (par exemple dans des zones piétonnes) alors que la circulation est interdite à tous les autres véhicules ;
- Pratiquer une politique de stationnement différenciée avec, par exemple, la gratuité du stationnement pour les détenteurs de véhicules utilitaires à faibles émissions (gratuité pouvant intéresser des activités telles que le commerce de gros, l’artisanat…)» .
Ainsi, « Certaines municipalités ont adopté le disque vert qui permet 2h de stationnement gratuit en voirie pour les voitures écologiques (GPL, GNV, électriques, hybrides, flexfuel E85). Lorsque le stationnement est gratuit, certaines collectivités réservent également des « zones vertes » pour les détenteurs de ce disque. Ce dispositif peut avoir un intérêt pour des détenteurs de véhicules utilitaires légers réalisant des déplacements professionnels et des transports de marchandises nécessitant des temps de stationnement longs et pour lesquels l’aire de livraison n’est pas l’outil adapté. C’est typiquement le cas d’artisans intervenant dans les coeurs de ville ».
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Le rapport Savy nous fournit un exemple d’action publique locale en matière de logistique urbaine : celle de la mairie de Paris, en partenariat avec l’enseigne Monoprix et la SNCF. « Depuis le mois de novembre 2007, l’approvisionnement des Monoprix de Paris s’effectue par des poids lourds roulant au gaz naturel, depuis une halle de fret ferroviaire (halle de 10 000 m² située dans le XIIème arrondissement), elle-même approvisionnée depuis le centre de logistique de l’enseigne de distribution située en Seine-et-Marne par mode ferroviaire, grâce à une vingtaine de wagons quotidiens acheminés par la SNCF. Cette liaison ferroviaire devrait transporter l’équivalent de 120 000 tonnes de marchandises, soit plus de 6 000 camions. Selon l’ADEME, ce système de distribution devrait permettre de réduire de 75 % les émissions de CO2 par rapport à l’ancien système de transport tout routier ».
Cet exemple est particulièrement pertinent, puisqu’il combine multi-modalité (coordination du fret ferroviaire et routier), utilisation d’une énergie alternative (GNV), et aménagement urbain (plateformes logistiques reliées entre elles).
II) Réduire le trafic par l’optimisation des trajets
Dans une partie précédente, nous avons évoqué le problème des trajets effectués à vide. Réduire cette part du kilométrage à vide dans le kilométrage total, représente un enjeu environnemental, mais aussi un gain de temps et de valeur pour les transporteurs. A fortiori lorsque l’on sait que la consommation énergétique des poids-lourds est décuplée en situation de congestion routière.
L’optimisation des trajets peut donc, tout d’abord, passer par une sensibilisation accrue des routiers aux pratiques d’écoconduite. Cela peut passer par la formation, ou par l’équipement des camions de systèmes d’information et d’optimisation de leur consommation. Ensuite, l’utilisation de logiciels de guidage et d’itinéraires peut permettre aux transporteurs de planifier des tournées de livraison le plus efficacement possible.
Une étude britannique citée par Michel Savy montre qu’une simple mise en concordance des origines et des destinations, par les transporteurs de la chaîne d’approvisionnement en produits alimentaires, « permettrait de réduire les kilométrages parcourus à vide de 13,7 % supplémentaires ». La rationalisation des chaînes logistique passe donc aussi par la mutualisation de l’information par les transporteurs, sur une plateforme Internet dédiée. On parle aussi « d’Internet physique ».
Partie VI : Quelques éléments d’actualité sur la décarbonation du TRM
I) La démarche « Objectif CO2 » proposée en France
En 2008, le ministère de l’Écologie et l’ADEME, en concertation avec les organisations professionnelles du transport routier de marchandises, ont élaboré la Charte d’engagements volontaires de réduction des émissions de CO2. Cette démarche permet aux transporteurs et aux chargeurs qui y souscrivent, de bénéficier d’un label. Les entreprises s’engagent sur trois ans dans un plan d’actions concrètes et personnalisées en vue de diminuer leur consommation de carburant et, par voie de conséquence, leurs émissions de CO2.
A l’aide des outils proposés par l’ADEME et le Ministère de la Transition écologique, l’entreprise :
- réalise son diagnostic carbone,
- définit deux indicateurs de performance environnementale, avec pour chacun un objectif de réduction à trois ans,
- définit un plan d’actions sur une période de trois ans. Ce plan d’actions doit être élaboré sur la base des Fiches actions disponibles auprès de l’ADEME. Il doit inclure chacune des quatre thématiques centrales de la démarche :
- le véhicule,
- le carburant,
- le conducteur,
- l’organisation des flux de transport.
- choisit au moins une action par thématique, avec là encore, un objectif chiffré et un délai.
Ainsi, 1400 entreprises du secteur du TRM ont adhéré à la Charte depuis décembre 2008. Selon l’ADEME, 1,6 million de tonnes de GES ont été évitées à la fin de l’année 2016 grâce au programme, soit une moyenne de près de 400 000 tonnes/an. Les Fiches actions disponibles en ligne (voir Bibliographie indicative) recouvrent un large éventail de solutions permettant aux transporteurs et aux chargeurs de répondre au défi climatique.
Étant donné que son élaboration remonte à 2012, la Fiche action « Utilisation de carburants alternatifs » était centrée sur le biodiesel B30, délaissant volontairement le (bio)GNV, et n’envisageant même pas encore l’hydrogène. Mais en mars 2019, le programme « Objectif CO2 », qui était centré sur les transporteurs, est devenu le programme d’Engagement volontaire pour l’environnement (EVE), intégrant ainsi les commissionnaires de transports et les chargeurs.
Avec cette nouvelle mouture, la Fiche action « Utilisation de carburants alternatifs » a évoluée. Dans sa version d’avril 2020, elle intègre désormais le biodiesel B100, le bioéthanol ED95, ainsi que le bioGNV. L’utilisation d’un véhicule à hydrogène est succinctement évoquée, dans une fiche à part. Les politiques régionales en matière de TRM doivent en tout cas s’appuyer sur le dispositif EVE.
II) Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat
Le 26 juin 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) a transmis au Gouvernement ses 149 propositions issues de 9 mois de travail collectif par ces 150 citoyens tirés au sort. Dans ses propositions, la CCC n’aborde la logistique que de manière très superficielle. Sur le plan du TRM, elle propose ainsi de « Réduire la circulation des poids lourds émetteurs de gaz à effet de serre sur de longues distances, en permettant un report modal vers le ferroviaire ou le fluvial ».
Notons d’ores et déjà que la CCC propose d’ « Imposer aux constructeurs de poids lourds d’adopter la même filière énergétique dans leur recherche et développement », mettant l’accent sur la filière hydrogène, et la nécessité d’investir dans son développement. Le GNV n’est pas évoqué. C’est là l’essentiel des propositions de la CCC sur le plan des énergies alternatives.
Concernant les autres préconisations relatives au fret, il est principalement question d’autoroutes maritimes, d’écoconduite, de circuits courts, ainsi que de « clauses environnementales ». La CCC place ainsi le ferroviaire, le fluvial et le maritime au centre de ses solutions pour décarboner le fret. Une telle approche (que nous ne considérons pas ici comme satisfaisante à elle seule) implique nécessairement une réduction de l’activité des poids-lourds. C’est en partie pour cela que l’OTRE s’est fendue d’un éditorial pour le moins défiant envers la CCC. La fédération craint « que la présentation des propositions qui est faite pour le transport routier de marchandises ne désigne à la vindicte populaire et donc législative, une activité forcément polluante aux yeux de tous ».
Bibliographie indicative – Pour aller plus loin
Commissariat général au développement durable, Les comptes des transports en 2018, 56e rapport de la Commission des comptes des transports de la Nation, avril 2019.
Document-Cadre pour une Stratégie nationale « France Logistique 2025 », janvier 2017. En ligne sur https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/france-logistique-2025.
« La logistique en France : état des lieux et pistes de progrès », Conférence nationale sur la logistique, rapport du comité scientifique présidé par Michel Savy, 2015.
« Les énergies pour le transport : avantages et inconvénients », note IFPEN, 2009.
Michel Savy, Caroline Daude, « Transport routier de marchandises et gaz à effet de serre », Rapport du Centre d’analyse stratégique, avril 2008.
Observatoire Régional des Transports, Le journal des transports, édition spéciale Logistique, n°105 – juillet 2019.
« Putains de camions. Les poids lourds en question », reportage réalisé par Jens Niehuss et Marcel Martschoke et diffusé par Arte. Disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=VfxRTBjDCPw
Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires de la Région Sud. Voté le 26 juin 2019. Les documents qui le composent (Rapport, Fascicule des règles, Synthèse) sont disponibles en ligne.
Voir l’ensemble de la documentation proposée par l’ADEME dans le cadre de son programme d’Engagement volontaire pour l’environnement (EVE) : http://www.objectifco2.fr/index/documents (voir les Fiches actions en particulier)
Web Conférence : Les carburants alternatifs pour le transport de marchandises et de voyageurs. Séminaire en ligne disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=JnH_EJ9Dnus
Annexes
Annexe 1 : Quelques statistiques sur la répartition modale du fret.
In : CGDD, Les comptes des transports en 2018.
In : Ibid.
Annexe 2 : Activité des pays européens selon le pavillon
In : CGDD, Le transport routier de marchandises européen en 2017.
Annexe 3 : Quelques données sur les comptes des secteurs des transports et entreposage.
In : CGDD, Les comptes des transports en 2018, op. Cit.
Annexe 4 : L’évolution du bouquet de consommation énergétique des transports.
In : INSEE Références, Les acteurs économiques et l’environnement, 2017.
In : CGDD, Les comptes des transports en 2018, op. Cit.
Annexe 5 : Évolution du différentiel entre coûts et prix des entreprises de TRM
In : CGDD, Les comptes des transports en 2018, op. Cit.
Annexe 6 : Les stations GNV en région Sud-PACA.
In : https://www.gaz-mobilite.fr/stations-gnv/region-provence-alpes-cote-azur/Annexe 7 : Les stations hydrogène en France
In : Web Conférence : Les carburants alternatifs pour le transport de marchandises et de voyageurs, op. Cit.
Annexe 8 : Extrait du SRCAE (2013) correspondant à la méthanisation des déchets
In : Schéma Régional Climat Air Energie, Région PACA, juin 2013.